Quand nous nous sommes donnés pour
thème les Poils dans notre dernière émission, il nous a paru comme
une évidence que celle-ci ne pourrait se faire sans au moins évoquer
le bien-nommé groupe lyonnais PoiL. Pourtant qu'en dire à part ce
que leur art dit pour eux ? Car si ces olibrius des musiques saturées
hexagonales trainent leurs justaucorps sur les scènes de France et
d'Europe depuis des années (formés en 2005, premier album en 2008),
fort peu se sait de leur histoire (hors une biographie au bon goût de
cadavre exquis) comme de leurs méthodes, guère plus de leurs
influences avouées ou supposées.
C'est d'ailleurs l'un des sujets de la
discussion que nous avons eu avec le trio pour déblayer un peu les
noms qui s'accumulent pour parler d'eux, pour trouver des
comparaisons, des équivalences, pour mieux comprendre qui est PoiL.
Un groupe qui s'avère finalement être l'un des plus classiques des groupes
de rock frappadingues de sa génération, dans ses goûts, dans son
parcours et dans son art.
A noter que la plupart des réponses d'Antoine, Boris et Guilhem sont parfois synthétisées en une seule afin d'ajouter à la fluidité de la lecture, en soustrayant à la retranscription l'aspect décousu d'une discussion décontractée. Mais aucun mot n'a été mis à la place d'un autre ou sorti de son contexte.
"Nous sommes le beau et la splendeur du
vrai."
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En fouillant un peu sur ce qu'on a sous la main, notamment votre page Facebook, on trouve de très belles photos où l'on peut voir que vous avez le bon goût de porter parfois des chemises à jabot. Mais vous vous produisez principalement costumés sur scène, en justaucorps et slips par dessus. Donc vous êtes des super-héros ?
C'est ça.
Mais des super-héros avec des
super-pouvoirs grâce à la radioactivité, parce que vous venez
d'une autre planète ?
Ouais, on vient de la planète
Culoculo, dans la constellation du Slip, dans la Fionosphère - en fait, il y a
beaucoup d'infos dans nos disques -, et puis on est venu sauver le
monde.
Depuis votre premier album, vous êtes
passés d'un registre proche de la musique classique contemporaine,
avec des éléments jazz, très orienté piano, et en arrivant à
Brossaklit, votre troisième album, le plus récent, vous avez mis
en avant des côtés plus "amplifiés", pour le dire de
manière générique. Sur votre page Facebook, vous mettez comme
genre "Superhero Big Beat Surf". Autant dire que le genre,
faire partie d'un genre, on s'en fout, pas vrai ?
Oui, parce que ça ne fait rien. Ça ne va pas
parler de dire qu'on fait du rock, du jazz ou n'importe quoi, il n'y a
pas grand sens à essayer de trouver une étiquette, comme beaucoup
de groupes qui sont plus "étiquetables". D'où le super hero big beat
surf. A chaque fois qu'on nous dit "c'est quoi comme style",
on dit c'est du rock, ou du big beat surf.
Surtout, ça permet de ne jamais resté
enfermé dans un genre ?
Bin ouais, vu que ça n'a jamais été le
cas musicalement. On a toujours fait de la musique sans chercher à
rentrer dans un genre, bin, du coup on n'a pas de genre.
On n'est pas sexué. Ou sur-sexué, je
dirais ! Disons qu'on peut trouver tout ce qu'on veut comme influence,
comme style, parce que des fois on utilise des clichés ou des
influences réelles de style, parfois on utilise des pastiches mais
sans ligne directrice.
Sans parler forcément de genre, les
comparaisons vous en bouffez beaucoup : Mr Bungle, Zappa, Captain
Beefheart... on pourrait aussi parler de Magma ou de Gong (vous avez
d'ailleurs joué avec Gong en 2012). Du coup, la planète d'origine
de PoiL, elle est proche de la planète Gong ?
Ha, je sais pas du tout, j'ai jamais
écouté un album. C'est vrai qu'il y a plein de gens qui nous le
disent... Peut-être qu'on a des influences de Gong mais on ne sait
pas... ça doit être des ancêtres à nous. Mais il y a une planète
Gong ?
Il y a une planète Gong.
Eh bin, je sais pas où la situer. Si
elle est vers la Fionosphère...
Ça doit pas être loin de Kobaïa...
Oui, voilà. On est tombé dans un trou
de balle noir et on a atterri ici. On est peut-être dans un trou de
ver finalement qui nous a permis de tomber dans une autre dimension.
On navigue quoi.
A force de vouloir vous comparer à des
groupes, on pourrait presque vous dire influencés par tous les
groupes plus ou moins rock des 50 dernières années...
Je ne dirais pas ça mais je pense qu'on
est influencé par tout ce qu'on aime. Je pense plutôt qu'il y a
beaucoup de groupes de rock qui tirent des influences d'ailleurs et
ça fait qu'il y a des similitudes mais c'est pas pour autant que
nous on s'est inspiré. Et même nous trois, on a une culture, plein
de points communs. Zappa, je connais pas du tout, Gong non plus,
Captain Beefheart, j'ai jamais écouté non plus... Enfin, il y a
plein de trucs que j'ai jamais écouté non plus. A chaque fin de
concert, on nous cite toujours les mêmes groupes mais pour la
plupart je ne les connais pas. A mon avis, ce qui serait le plus juste,
c'est de dire qu'on a en commun avec ces groupes là les mêmes
influences, plus que d'être influencés par Magma ou Zappa. On est
influencés par les même musiciens qu'eux. J'en sais rien si Zappa a
été très influencé par Stravinsky, moi je sais que je suis très
influencé par Stravinsky, donc j'imagine qu'il a été très
influencé par ce genre de compositeurs, Varèse, tout ça. Et puis par
exemple, Magma, il a été très influencé par [John] Coltrane, et
nous, on a beaucoup de Coltrane aussi. Et de la musique indienne et
beaucoup d'autres choses. On remonte peut-être à des sources comme
ça.
Par contre à quel groupe il ne
faudrait vraiment pas vous comparer ? Des noms qu'on vous a cité
peut-être des fois...
On nous dit des choses marrantes des
fois... On nous a dit une fois ou deux qu'on était influencé par
Ultrazook. Donc ça, il faut surtout pas nous le dire [rires] parce
que ce sont de très bons copains, mais, attention... bon, nos deux
groupes sont nés à peu près en même temps donc ce serait
difficile de s'influencer. Et puis on ne se connaissait même pas à
l'époque et c'est après qu'on a rencontré Ultrazook et qu'on a
tourné avec eux donc c'était bizarre qu'on nous dise qu'on était
influencé par eux. Il y avait un problème d'anachronisme.
Alors, ce ne sera pas forcément une
influence vu que vos influences semblent surtout remonter au
classique ou au jazz...
Ha, pas que ! Pas que !
... mais quand je vous écoute je pense à un
groupe de krautrock, Can, avec le chanteur Damo Suzuki, qui est
japonais chantant dans un groupe allemand et du coup mélangeait le
japonais, l'allemand, l'anglais, les mots qui lui venaient. C'est un peu
votre manière d'écrire, je crois, PoiL, dans vos textes, pour la
sonorité des mots.
Voilà. Complètement.
Mais ça se passe comment alors
concrètement l'écriture du texte ? A un moment donné, il y a quand
même l'envie d'écrire certaines choses ?
Bien sûr. Ça dépend des morceaux. Il
y a des morceaux où il y a des chants traditionnels japonais, des
morceaux qui sont en traduction Google de portugais ou de japonais.
D'autres morceaux, c'est les peu de restes qu'Antoine a eu au lycée
en classe d'allemand. Après, il y a un seul morceau en anglais, avec
des paroles dans un anglais très approximatif. Des fois, des phrases
en français avec des mots qu'on a inventé entre nous, entre
potes...
Ce n'est pas un nouveau kobaïen ?
Non, on ne cherche pas du tout à faire...
c'est juste au fur et à mesure des petits délires qu'on a dans ce
groupe. Il y a plein de petites expressions qui restent, qui se
développent dans nos compos. Et puis il y a un champ lexical tourné
vers le cul, le fion. Et c'est aussi la sonorité de tout ces mots qui
nous intéresse.
Tant qu'à en être aux comparaisons,
une dernière : le magazine Zyva vous appelle "Monty Python
français du rock"...
Ça fait plaisir. Ça fait partie des
références.
Ça se voit en plus dans vos vidéos.
Notamment "Trouille Cosmique" (cf. ci-dessus) avec beaucoup d'animation qui
pourrait peut-être rappeler les séquences d'animations de Terry
Gilliam... de loin...
Oui, de loin. On aimerait bien quand
même.
Il faudrait peut-être demander à
Terry Gilliam, simplement, naïvement...
Ouais, ce serait chouette.
Et du coup, vous portez déjà des
costumes sur scène, vous avez un univers barré... Des prestations théâtrales autour de vos concerts, est-ce quelque chose
que vous envisagez ou vous en restez simplement à l'interprétation de
la musique ?
Oh oui, on n'a jamais... A un moment on
s'est posé la question : est-ce qu'on n'essaierait pas de travailler
ça, puis, en fait, on n'a jamais eu envie. Naturellement, on le
travaille pas. C'est juste : on a envie de jouer, de faire les cons.
Mais c'est pour l'interprétation musicale parce que la musique nous
amène à avoir certains types d'attitudes quand on l’interprète et
c'est juste pour ça qu'il y a quelque chose de visuel à voir. C'est
parce qu'on essaie juste d'interpréter notre musique comme on la
sent et des fois on a besoin d'être cons quand on la joue. D'être
autre chose, pas que d'être cons. Je pense qu'il y a quand même
beaucoup de gens, quand ils nous voient, qui rigolent parce qu'ils ont
l'impression de voir des débiles tarés qui font une musique
compliquée, du coup ça donne déjà un côté théâtral en soi, mais
ça ne va pas plus loin que ça.
Antoine et Boris, vous vous êtes
rencontrés au conservatoire de Lyon...
Antoine : Euh, non... Boris et moi ont
s'est rencontré au lycée.
Guilhem : Et après moi, plus tard, on s'est rencontré au Conservatoire par le biais de la classe de compos, j'ai commencé à jouer dans des pièces qu'il écrivait plutôt d'un style contemporain et puis c'est venu de là et il connaissait Boris et l'idée de monter le groupe est venue d'Antoine. A la toute première répète, il y avait un sax' et au début on savait pas exactement... et puis finalement il n'a fait qu'une répète et on a trouvé l'équilibre à trois.
Guilhem : Et après moi, plus tard, on s'est rencontré au Conservatoire par le biais de la classe de compos, j'ai commencé à jouer dans des pièces qu'il écrivait plutôt d'un style contemporain et puis c'est venu de là et il connaissait Boris et l'idée de monter le groupe est venue d'Antoine. A la toute première répète, il y avait un sax' et au début on savait pas exactement... et puis finalement il n'a fait qu'une répète et on a trouvé l'équilibre à trois.
Et du coup toi, Guilhem, le batteur, tu
viens un peu du milieu grunge, hardcore...
Ouais, j'ai commencé la zic en faisant
de la guitare en faisant du grunge et un peu du hardcore.
Et donc vous faites un peu le grand
écart depuis votre premier album, entre musique classique et des
choses avec des influences hardcore, punk, un esprit punk sous
certains aspects. Du coup, ma question : quel serait le musicien
classique le plus punk ?
Punk, faut déjà savoir ce que c'est,
c'est un long débat. Si on prend dans la provoc'... Satie. Peut-être
pas Scelsi. Peut-être Varèse aussi parce qu'il faisait des gros
trucs de bourrin complètement décalés avec son temps. Peut-être
qu'il faudrait reprendre la définition de punk à la base. Enfin si
c'est dans la musique ou dans l'attitude, parce qu'évidemment Satie
est quand même très punk alors qu'il fait une musique extrêmement
douce. Il s'est mis tout son temps, toute son époque à dos.
Alors, punk ou pas punk, vous avez
quand même fait dresser les cheveux à certains politiques. En 2013,
vous êtes cités par une conseillère régionale de Rhône-Alpes,
qui demandait une baisse de moitié du budget de la culture en
appelant "une culture apportant un supplément d'âme,
permettant de retrouver le sens du beau, la splendeur du vrai"
contre "la tentation à la perversion". Du coup, vous
sentez que vous êtes contre le beau, la splendeur du vrai, que vous
tentez à la perversion ?
Nous sommes le beau et la splendeur du
vrai.
"Vous êtes le beau et la
splendeur du vrai". Très bonne réponse ! D'un autre côté, un
autre conseiller cite lui Rabelais pour défendre une culture qui
peut être vulgaire même pour les culs serrés d'aujourd'hui mais
tout de même faire partie des œuvres majeures de la littérature
française. Vous vous sentez rabelaisiens dans vos textes ?
Ha ouais, je pense qu'on peut carrément
dire ça. Pour une fois que quelqu'un de gauche dit pas de la merde,
je soutiens complètement le garçon dans cette citation, dans cette
comparaison pour le coup. C'était très bienvenu qu'il cite
Rabelais, il a été très pertinent là-dessus. A part lui et
Villon, il n'y a pas grand chose qui pourrait coller aux textes de
PoiL.
Et du coup, PoiL qui chanterait
Rabelais ou Villon ?
Alors là, ce serait complètement
possible. Pourquoi pas. Bonne idée. Il n'y en a pas beaucoup qu'on
pourrait mettre en musique.
Alors vous avez fait un remix de"Tronche A Cul" qu'elle citait en plein conseil en incluant
une partie de cette intervention de cette conseillère. Vous lui avez
envoyé un lien pour qu'elle apprécie un petit peu ce que ça
donnait ?
Non, mais j'espère qu'elle l'a vu,
parce que l'élu EELV [qui citait Rabelais] lui l'a vu, on l'a su, et
ça lui a plu.
Interview réalisée le 14 novembre 2015 à Lyon.
Page Facebook et Bandcamp de PoiL.
Merci à Clément de Dur et Doux d'avoir organisé cette rencontre.
La suite à lire ici.
Interview réalisée le 14 novembre 2015 à Lyon.
Page Facebook et Bandcamp de PoiL.
Merci à Clément de Dur et Doux d'avoir organisé cette rencontre.