vendredi 27 novembre 2015

PoiL : l'interview (1ère partie)


Quand nous nous sommes donnés pour thème les Poils dans notre dernière émission, il nous a paru comme une évidence que celle-ci ne pourrait se faire sans au moins évoquer le bien-nommé groupe lyonnais PoiL. Pourtant qu'en dire à part ce que leur art dit pour eux ? Car si ces olibrius des musiques saturées hexagonales trainent leurs justaucorps sur les scènes de France et d'Europe depuis des années (formés en 2005, premier album en 2008), fort peu se sait de leur histoire (hors une biographie au bon goût de cadavre exquis) comme de leurs méthodes, guère plus de leurs influences avouées ou supposées.

C'est d'ailleurs l'un des sujets de la discussion que nous avons eu avec le trio pour déblayer un peu les noms qui s'accumulent pour parler d'eux, pour trouver des comparaisons, des équivalences, pour mieux comprendre qui est PoiL. Un groupe qui s'avère finalement être l'un des plus classiques des groupes de rock frappadingues de sa génération, dans ses goûts, dans son parcours et dans son art. 

Voici donc PoiL en interview, face aux question de l'Animal, le tout réalisé dans un cadre - la maison adjacente à leur salle de répétition où les trois musiciens suaient depuis trois jours complets déjà sur un seul morceau - en accord parfait avec le groupe : hétéroclite, dans lequel se croisent chatte sur fauteuil ancien sous l’œil d'un Flat Eric, parmi des affiches de concerts et des bibliothèques remplies d'on ne sait quels ouvrages surréalistes, des mannequins masqués, une grosse tête de bonhomme Lego et une théière sur la table.

A noter que la plupart des réponses d'Antoine, Boris et Guilhem sont parfois synthétisées en une seule afin d'ajouter à la fluidité de la lecture, en soustrayant à la retranscription l'aspect décousu d'une discussion décontractée. Mais aucun mot n'a été mis à la place d'un autre ou sorti de son contexte.

"Nous sommes le beau et la splendeur du vrai."

En fouillant un peu sur ce qu'on a sous la main, notamment votre page Facebook, on trouve de très belles photos où l'on peut voir que vous avez le bon goût de porter parfois des chemises à jabot. Mais vous vous produisez principalement costumés sur scène, en justaucorps et slips par dessus. Donc vous êtes des super-héros ?

C'est ça.

Mais des super-héros avec des super-pouvoirs grâce à la radioactivité, parce que vous venez d'une autre planète ?

Ouais, on vient de la planète Culoculo, dans la constellation du Slip, dans la Fionosphère - en fait, il y a beaucoup d'infos dans nos disques -, et puis on est venu sauver le monde.

Depuis votre premier album, vous êtes passés d'un registre proche de la musique classique contemporaine, avec des éléments jazz, très orienté piano, et en arrivant à Brossaklit, votre troisième album, le plus récent, vous avez mis en avant des côtés plus "amplifiés", pour le dire de manière générique. Sur votre page Facebook, vous mettez comme genre "Superhero Big Beat Surf". Autant dire que le genre, faire partie d'un genre, on s'en fout, pas vrai ?

Oui, parce que ça ne fait rien. Ça ne va pas parler de dire qu'on fait du rock, du jazz ou n'importe quoi, il n'y a pas grand sens à essayer de trouver une étiquette, comme beaucoup de groupes qui sont plus "étiquetables". D'où le super hero big beat surf. A chaque fois qu'on nous dit "c'est quoi comme style", on dit c'est du rock, ou du big beat surf.

Surtout, ça permet de ne jamais resté enfermé dans un genre ?

Bin ouais, vu que ça n'a jamais été le cas musicalement. On a toujours fait de la musique sans chercher à rentrer dans un genre, bin, du coup on n'a pas de genre.

On n'est pas sexué. Ou sur-sexué, je dirais ! Disons qu'on peut trouver tout ce qu'on veut comme influence, comme style, parce que des fois on utilise des clichés ou des influences réelles de style, parfois on utilise des pastiches mais sans ligne directrice.

Sans parler forcément de genre, les comparaisons vous en bouffez beaucoup : Mr Bungle, Zappa, Captain Beefheart... on pourrait aussi parler de Magma ou de Gong (vous avez d'ailleurs joué avec Gong en 2012). Du coup, la planète d'origine de PoiL, elle est proche de la planète Gong ?

Ha, je sais pas du tout, j'ai jamais écouté un album. C'est vrai qu'il y a plein de gens qui nous le disent... Peut-être qu'on a des influences de Gong mais on ne sait pas... ça doit être des ancêtres à nous. Mais il y a une planète Gong ?

Il y a une planète Gong.

Eh bin, je sais pas où la situer. Si elle est vers la Fionosphère...

Ça doit pas être loin de Kobaïa...

Oui, voilà. On est tombé dans un trou de balle noir et on a atterri ici. On est peut-être dans un trou de ver finalement qui nous a permis de tomber dans une autre dimension. On navigue quoi.

A force de vouloir vous comparer à des groupes, on pourrait presque vous dire influencés par tous les groupes plus ou moins rock des 50 dernières années...

Je ne dirais pas ça mais je pense qu'on est influencé par tout ce qu'on aime. Je pense plutôt qu'il y a beaucoup de groupes de rock qui tirent des influences d'ailleurs et ça fait qu'il y a des similitudes mais c'est pas pour autant que nous on s'est inspiré. Et même nous trois, on a une culture, plein de points communs. Zappa, je connais pas du tout, Gong non plus, Captain Beefheart, j'ai jamais écouté non plus... Enfin, il y a plein de trucs que j'ai jamais écouté non plus. A chaque fin de concert, on nous cite toujours les mêmes groupes mais pour la plupart je ne les connais pas. A mon avis, ce qui serait le plus juste, c'est de dire qu'on a en commun avec ces groupes là les mêmes influences, plus que d'être influencés par Magma ou Zappa. On est influencés par les même musiciens qu'eux. J'en sais rien si Zappa a été très influencé par Stravinsky, moi je sais que je suis très influencé par Stravinsky, donc j'imagine qu'il a été très influencé par ce genre de compositeurs, Varèse, tout ça. Et puis par exemple, Magma, il a été très influencé par [John] Coltrane, et nous, on a beaucoup de Coltrane aussi. Et de la musique indienne et beaucoup d'autres choses. On remonte peut-être à des sources comme ça.

Par contre à quel groupe il ne faudrait vraiment pas vous comparer ? Des noms qu'on vous a cité peut-être des fois...

On nous dit des choses marrantes des fois... On nous a dit une fois ou deux qu'on était influencé par Ultrazook. Donc ça, il faut surtout pas nous le dire [rires] parce que ce sont de très bons copains, mais, attention... bon, nos deux groupes sont nés à peu près en même temps donc ce serait difficile de s'influencer. Et puis on ne se connaissait même pas à l'époque et c'est après qu'on a rencontré Ultrazook et qu'on a tourné avec eux donc c'était bizarre qu'on nous dise qu'on était influencé par eux. Il y avait un problème d'anachronisme.

Alors, ce ne sera pas forcément une influence vu que vos influences semblent surtout remonter au classique ou au jazz...

Ha, pas que ! Pas que !

... mais quand je vous écoute je pense à un groupe de krautrock, Can, avec le chanteur Damo Suzuki, qui est japonais chantant dans un groupe allemand et du coup mélangeait le japonais, l'allemand, l'anglais, les mots qui lui venaient. C'est un peu votre manière d'écrire, je crois, PoiL, dans vos textes, pour la sonorité des mots.

Voilà. Complètement.

Mais ça se passe comment alors concrètement l'écriture du texte ? A un moment donné, il y a quand même l'envie d'écrire certaines choses ? 

Bien sûr. Ça dépend des morceaux. Il y a des morceaux où il y a des chants traditionnels japonais, des morceaux qui sont en traduction Google de portugais ou de japonais. D'autres morceaux, c'est les peu de restes qu'Antoine a eu au lycée en classe d'allemand. Après, il y a un seul morceau en anglais, avec des paroles dans un anglais très approximatif. Des fois, des phrases en français avec des mots qu'on a inventé entre nous, entre potes...

Ce n'est pas un nouveau kobaïen ?

Non, on ne cherche pas du tout à faire... c'est juste au fur et à mesure des petits délires qu'on a dans ce groupe. Il y a plein de petites expressions qui restent, qui se développent dans nos compos. Et puis il y a un champ lexical tourné vers le cul, le fion. Et c'est aussi la sonorité de tout ces mots qui nous intéresse.


Tant qu'à en être aux comparaisons, une dernière : le magazine Zyva vous appelle "Monty Python français du rock"...

Ça fait plaisir. Ça fait partie des références.

Ça se voit en plus dans vos vidéos. Notamment "Trouille Cosmique" (cf. ci-dessus) avec beaucoup d'animation qui pourrait peut-être rappeler les séquences d'animations de Terry Gilliam... de loin...

Oui, de loin. On aimerait bien quand même.

Il faudrait peut-être demander à Terry Gilliam, simplement, naïvement...

Ouais, ce serait chouette.

Et du coup, vous portez déjà des costumes sur scène, vous avez un univers barré... Des prestations théâtrales autour de vos concerts, est-ce quelque chose que vous envisagez ou vous en restez simplement à l'interprétation de la musique ?

Oh oui, on n'a jamais... A un moment on s'est posé la question : est-ce qu'on n'essaierait pas de travailler ça, puis, en fait, on n'a jamais eu envie. Naturellement, on le travaille pas. C'est juste : on a envie de jouer, de faire les cons. Mais c'est pour l'interprétation musicale parce que la musique nous amène à avoir certains types d'attitudes quand on l’interprète et c'est juste pour ça qu'il y a quelque chose de visuel à voir. C'est parce qu'on essaie juste d'interpréter notre musique comme on la sent et des fois on a besoin d'être cons quand on la joue. D'être autre chose, pas que d'être cons. Je pense qu'il y a quand même beaucoup de gens, quand ils nous voient, qui rigolent parce qu'ils ont l'impression de voir des débiles tarés qui font une musique compliquée, du coup ça donne déjà un côté théâtral en soi, mais ça ne va pas plus loin que ça.

Antoine et Boris, vous vous êtes rencontrés au conservatoire de Lyon...

Antoine : Euh, non... Boris et moi ont s'est rencontré au lycée.

Guilhem : Et après moi, plus tard, on s'est rencontré au Conservatoire par le biais de la classe de compos, j'ai commencé à jouer dans des pièces qu'il écrivait plutôt d'un style contemporain et puis c'est venu de là et il connaissait Boris et l'idée de monter le groupe est venue d'Antoine. A la toute première répète, il y avait un sax' et au début on savait pas exactement... et puis finalement il n'a fait qu'une répète et on a trouvé l'équilibre à trois.

Et du coup toi, Guilhem, le batteur, tu viens un peu du milieu grunge, hardcore...

Ouais, j'ai commencé la zic en faisant de la guitare en faisant du grunge et un peu du hardcore.

Et donc vous faites un peu le grand écart depuis votre premier album, entre musique classique et des choses avec des influences hardcore, punk, un esprit punk sous certains aspects. Du coup, ma question : quel serait le musicien classique le plus punk ?

Punk, faut déjà savoir ce que c'est, c'est un long débat. Si on prend dans la provoc'... Satie. Peut-être pas Scelsi. Peut-être Varèse aussi parce qu'il faisait des gros trucs de bourrin complètement décalés avec son temps. Peut-être qu'il faudrait reprendre la définition de punk à la base. Enfin si c'est dans la musique ou dans l'attitude, parce qu'évidemment Satie est quand même très punk alors qu'il fait une musique extrêmement douce. Il s'est mis tout son temps, toute son époque à dos.

Alors, punk ou pas punk, vous avez quand même fait dresser les cheveux à certains politiques. En 2013, vous êtes cités par une conseillère régionale de Rhône-Alpes, qui demandait une baisse de moitié du budget de la culture en appelant "une culture apportant un supplément d'âme, permettant de retrouver le sens du beau, la splendeur du vrai" contre "la tentation à la perversion". Du coup, vous sentez que vous êtes contre le beau, la splendeur du vrai, que vous tentez à la perversion ?

Nous sommes le beau et la splendeur du vrai.

"Vous êtes le beau et la splendeur du vrai". Très bonne réponse ! D'un autre côté, un autre conseiller cite lui Rabelais pour défendre une culture qui peut être vulgaire même pour les culs serrés d'aujourd'hui mais tout de même faire partie des œuvres majeures de la littérature française. Vous vous sentez rabelaisiens dans vos textes ?

Ha ouais, je pense qu'on peut carrément dire ça. Pour une fois que quelqu'un de gauche dit pas de la merde, je soutiens complètement le garçon dans cette citation, dans cette comparaison pour le coup. C'était très bienvenu qu'il cite Rabelais, il a été très pertinent là-dessus. A part lui et Villon, il n'y a pas grand chose qui pourrait coller aux textes de PoiL.

Et du coup, PoiL qui chanterait Rabelais ou Villon ?

Alors là, ce serait complètement possible. Pourquoi pas. Bonne idée. Il n'y en a pas beaucoup qu'on pourrait mettre en musique.

Alors vous avez fait un remix de"Tronche A Cul" qu'elle citait en plein conseil en incluant une partie de cette intervention de cette conseillère. Vous lui avez envoyé un lien pour qu'elle apprécie un petit peu ce que ça donnait ?

Non, mais j'espère qu'elle l'a vu, parce que l'élu EELV [qui citait Rabelais] lui l'a vu, on l'a su, et ça lui a plu.

La suite à lire ici

Interview réalisée le 14 novembre 2015 à Lyon.
Page Facebook et Bandcamp de PoiL.
Merci à Clément de Dur et Doux d'avoir organisé cette rencontre.