lundi 25 avril 2016

Prince: It's Gonna Be A Beautiful Night


Prince n'est plus.

Avec le Kid qui s'en va, c'est une page de la musique contemporaine qui se tourne. The artist formerly known as Prince cachait bien son jeu. Il est facile de se souvenir de lui comme d'une pop star à la Michael Jackson. Mais Prince était notre iceberg préféré de la musique contemporaine, pour quelques dizaines de chansons écrites dans le paysage médiatique, c'en est un millier qui resteront englouties.

Prince, c'est ainsi une richesse créative souvent méconnue par le grand public, un artiste déterminé fort de paradoxes fertiles tout au long de sa longue carrière.


Face à l'autre grand disparu de cette terrible année 2016, notre cher Bowie, c'est un silence de signes qui s'installe autour de la disparition du Kid de Minneapolis. Son image, aussi bien en mouvement que sa musique est toujours restée rare au sein du monde dématérialisé d'internet. On le savait exigeant sur les questions de droits d'auteurs, et propriétaire d'une vision bien à lui des outils informatiques.

Loin d'une levée de fourches dans le sens d'un Metallica avec Napster, Prince a su devancer l'outil dématérialisé en déclarant le web comme un outil inutile il y a quelques années. Et ce, sans avoir peur de se mettre une partie de la profession et de ses fans à dos.

Là où Prince était et restera un fait culturel à part du XXe siècle, c'est qu'il a su représenter un tout musical. A la fois accessible et populaire avec des blockbusters sonores tels que "Purple Rain" ou "When Doves Cry", Prince c'est aussi le créateur, le scientifique artiste qui expérimente. Pour résumer, une recherche perpétuelle de l'exigence musicale.

Prince n'était pas une pop star, c'était un musicien virtuose. Ou peut-être était-il les deux à la fois. Une manière de travailler singulière dans l'industrie de la musique contemporaine : son divorce précoce et carnassier d'avec sa maison de disques, et surtout une indépendance créative lovée dans et matérialisée par son studio de Paisley Park.

Là où Michael Jackson avait une forteresse avec Neverland, Prince avait avec Paisley Park une écrin de création qui était tout sauf une muraille pour se protéger de l'industrie dans laquelle il travaillait. L'incessante et stérile comparaison entre l'un et l'autre ne peut exister.

Prince a hurlé au monde qu'il était musicien en nous léguant des centaines d'enregistrements inédits dont certains seront certainement impossibles à obtenir. On disait Prince en décalage avec l'industrie musicale, mais n'était-ce pas elle qui au final ne pouvait canaliser un vrai créatif ? L'industrie musicale valorise la création, mais brise aussi la production créative totale, c'était un cadre trop petit pour le Kid, d'où ses prises de positions radicales et sa liberté créative acquise de manière très précoce pour un artiste pop de sa génération.


Même dans son adieu, les signes sont flous et le décryptage difficile.

A la fois sulfureux et avant-gardiste, Prince a toujours joué avec les codes du mass-entertainment. Par exemple, ses chansons à caractère à la limite de la pornographie, ses costumes sulfureux. Mais on peut affirmer avec la plus grande des certitudes que Prince était certainement l'artiste le moins intéressé par les stéréotypes genrés et sexistes. S'entourant de préférence de musiciennes qu'il ne manquait jamais de mettre en avant pour leurs habilités techniques et musicales, c'est en livrant une interprétation absolue de la sexualité que Prince abolit les rôles genrés si présent dans l'industrie du divertissement. En témoigne son love symbol : en nous montrant un tout sexuel, Prince a su s'affranchir des codes artificiels du monde de la musique populaire. Le souvenir dans l'inconscient collectif d'un artiste comme Prince ne sera certainement pas aussi fin que sa réalité, car nous sommes en réalité de moins en moins aptes à déchiffrer des codes populaires non binaires et absolus.


Prince, c'était le vortex : à la fois populaire et connaisseur, sulfureux et moralisateur. Il représente pour beaucoup la création artistique elle-même, qui dans tous les cas ne peut s'acclimater aux codes de l'industrie de la musique.

C'est là où la carrière du Kid a toujours pu se passer des jalons qui forgent d'habitude les légendes : le succès commercial, la surexposition médiatique, les drames et les résurrections. Prince a su poser pierre par pierre les étapes de sa propre légende, car sous le masque, on peut voir une grande sincérité créatrice qui a souvent fait surface.

Avec une musique populaire singulière, Prince a su transcender le concept de musique elle-même, et proposer une forme musicale unique dans la musique contemporaine : une production populaire et radio sertie d'une exigence créative et technique.

Prince c'était au final beaucoup de choses, une sorte d'alpha & d'omega de la créativité qui sait se distiller dans la culture populaire. Car Prince était un artiste généreux, en donnant une certaine exigence musicale à son public, ne le poussait-il pas à se remettre en question, à remettre en question la musique populaire pour la porter vers le haut ?

Multi-instrumentiste hors-pair, il ne cessa de son vivant de conseiller à ses contemporains pop stars  de travailler leurs instruments. Prince était aussi un artiste qui mettait continuellement en avant ses musiciens. Il y a donc dans sa carrière un réel respect de la musique en tant que médium artistique, loin de l'image de la musique populaire vidée de son essence.

Prince a su nous montrer que l'effort d'apprentissage d'un instrument, que l'exigence musicale, que sa théorisation, que les expérimentations et les métissages musicaux fonctionnent, et qu'ils ne relèvent pas de vieux salons dorés remplis de professeurs grisonnants de solfège. Que la musique en tant que médium peut savoir être populaire et que l'industrie musicale a recraché la Musique tel un coquillage vidé.

Mais Prince saura léguer à une génération de musiciens peut-être l'envie de produire une musique populaire de qualité, fière de ses inspirations, en perpétuelle recherche d'elle-même.


Le Kid, c'était une vision concrète de l'art musical, doublée d'une constante imparable qui est celle d'être constamment en recherche du meilleur, de se perfectionner et surtout de garder les yeux ouverts. Tout cela dans une dynamique bigger than life.

Tout cela associé à beaucoup, beaucoup d'amour, d'un sens du groove imparable et d'une rage de vivre, de jouir, presque violente tant elle s'assumait.

Prince is dead, long live the King.