Depuis le début des aventures des G-Spots, nombre de nos coéquipiers sont allés et venus, le plus souvent sans retour. Nous ne vous avons jamais raconté comment les choses se sont passées alors. Pour une fois nous allons vous raconter l'un de ces événements : comment StarFox a disparu.
Cela fait quelques mois que c'est
arrivé et nous n'en avons jamais parlé. Il était avec nous depuis
le début et pourtant, quand il est parti, ce fut comme s'il n'avait
jamais existé. Peut-on partager autant d'aventures avec une personne
et faire soudain comme si son absence n'était pas tel un fossé
béant dans le paysage de nos vies ? Peut-on habiter le même monde
avec un tel héros et admettre que la Terre tourne encore sans lui
pour la rendre plus riche ?
Nous étions tous là quand Starfox
est parti. Sur le moment, ce n'était qu'un au revoir avant une
nouvelle mission. Une mission hautement risquée mais quoi, nous en
avions déjà connu tant d'autres équivalentes tous ensemble. Mais
cette fois, il avait voulu y aller seul. "Je préfère que vous
restiez là, avait-il dit en réunion. Continuez à faire tourner la
boutique, on restera en contact. Je pars loin, mais ça ne
m'empêchera pas de revenir." Il avait alors ce sourire qui n'en
est pas tout à fait un. Ce sourire que des années à manier sa ruse
légendaire de planètes en colonies astéroïdes ont rendu
automatique, qui ne signifie plus vraiment la joie mais qui rassure
toujours, qui fait que même le plus méfiant des trafiquants d'armes
zangarthiens l'aurait laissé aller sans se poser de question.
Il était l'un des héros les
expérimentés de notre équipe. Il avait dialogué avec la mort au
milieu d'explosions de supernovæ et arpenté l'enfer des batailles
pour le contrôle de tel pulsar, pour le maintien de la paix sur tel
satellite avant la plupart d'entre nous. Il avait atterri un jour
dans nos vies dans son flamboyant vaisseau après avoir affronté
quelque tempête sonique dans un bras voisin de notre galaxie. Il
était reparti, une fois encore, une fois parmi tant d'autres, dans
cette même machine évoquant un dragon minéral, pénétrant dans sa
gueule sans trembler. Une fois de trop.
Cela n'aurait jamais dû être le
voyage de trop. Nous dédions nos vies à cet univers depuis si
longtemps sans nous poser de question, sans penser qu'un combat de
plus serait celui qui marquera la fin que, même sans nous réjouir
du départ de notre camarade, il ne nous serait jamais venu à l'idée
qu'il aurait fallu le saluer comme si c'était la dernière fois.
"Dis donc Starfox, j'ai toujours
pas compris où tu fourrais à chaque fois ta queue dans cette
combinaison spatiale..."
Patiemment, et toujours avec ce
sourire – ciel, je suis sûr qu'il avait encore ce sourire à la
fin ! - il nous répondait pour la énième fois : "Et toi, où
tu la mettrais ?"
Il était venu nous retrouver dans la
salle de contrôle avant de passer dans le silo de lancement, engoncé
dans sa tenue de voyage intergalactique bardée de tous les insignes
possibles qui lui permettaient d'être reconnu en tant que membre du
peuple Iwynog, maître-marchand de la Fédération Damianite, vétéran
de la guerre des Pmanos, de l'insurrection végétale de Kranas, de
la révolution des Ressuscités, etc. Un minimum pour traverser la
galaxie d'un bout à l'autre sans être trop dérangé par toute la
marmaille interstellaire et autres fonctionnaires zélés de quelques
systèmes solaires trop procéduriers.
Encagoulé, la fourrure qui auréolait
son visage ainsi recouverte, il avait presque face humaine. Même son
regard, à force de côtoyer notre espèce, avait évolué. Sans
doute une autre preuve de ses immenses capacités mimétiques pour
mieux se faire accepter d'un peuple qui bien souvent n'a pas manqué
de le traiter en intrus, lui, l'alien. Le fait est que la seule chose
qui aurait pu nous forcer à nous inquiéter, c'était qu'il partait
désarmé. Hors les grandes facultés physiques et intellectuelles
propres à sa race, stupéfiantes pour n'importe quel humain, il
demeurait un Iwynog comme un autre. Un aventurier prêt à tout, un
héros de multiples batailles, un voyageur de l'espace infini, oui,
mais là il était sans arme.
"Tu laisses tes sabres ? lui
avait demandé le Sergent Fractal, pour qui même la plus petite lame
n'est jamais inutile, ne serait-ce que pour s'occuper les mains.
- Je passe d'abord par chez moi où
ils ne sont qu'apparat. Là, si j'en ressens le besoin, je prendrai
peut-être de quoi m'armer.- Et si tu croises...
- Ne t'en fais pas Captain Nightfly, si je croisais quelqu'un de mal intentionné dans une station de repos, ce ne sont pas mes lames que je voudrais dégainer en premier."
Il avait dit ça avec un clin d’œil
(un geste qu'il avait appris à maîtriser sur Terre). Nightfly
savait très bien que Starfox choisirait toujours de ligoter un
adversaire dans sa ruse avant de le contraindre par les armes. Notre
ami nous a ensuite tous serré la main, a quitté la salle de
contrôle, descendu l'escalier de métal, rejoint le Faux-Ami, son
vaisseau (comment peut-on voyager en toute confiance, entre les
astres séparés de milliards de kilomètres, dans une machine ainsi
baptisée ?), pénétré dans sa gueule de rubis tout en le suivant
du regard à travers la vitre ; et ce fut la dernière fois que nos
yeux ont pu admirer notre compagnon héroïque parti combler un trou
noir menaçant une des colonies de son peuple comme on soufflerait
l'incendie d'un puits de pétrole.
"Et si on a envie de te passer un
p'tit coup de fil ? demanda pour plaisanter HackerGroove. Pour savoir
où t'as rangé le sel ou la kryptonite.
- Haha ! Eh bien, il y a toujours le
réseau rebond."
Starfox évoquait la technologie de
télécommunication la plus répandue de la Voie Lactée, conçue par
son peuple, faisant rebondir un signal d'un corps céleste à un
autre jusqu'à lui faire atteindre une vitesse très légèrement
supérieure à celle de la lumière, abolissant le décalage de
quelques millénaires que devrait autrement subir le message,
permettant un échange d'information avec une latence relativement
courte.
"Avec la masse d'un trou noir,
les signaux rebondissant près d'eux sont reçus en quasi instantané.
Mais peut-être que ce sera moi qui aurait besoin de vous passer un
coup de fil si vous me manquez trop."
On avait bien ri. Si on avait su que
c'était exactement ce qui allait se passer...