lundi 12 octobre 2015

La mort de StarFox


Depuis le début des aventures des G-Spots, nombre de nos coéquipiers sont allés et venus, le plus souvent sans retour. Nous ne vous avons jamais raconté comment les choses se sont passées alors. Pour une fois nous allons vous raconter l'un de ces événements : comment StarFox a disparu.


Cela fait quelques mois que c'est arrivé et nous n'en avons jamais parlé. Il était avec nous depuis le début et pourtant, quand il est parti, ce fut comme s'il n'avait jamais existé. Peut-on partager autant d'aventures avec une personne et faire soudain comme si son absence n'était pas tel un fossé béant dans le paysage de nos vies ? Peut-on habiter le même monde avec un tel héros et admettre que la Terre tourne encore sans lui pour la rendre plus riche ?

Nous étions tous là quand Starfox est parti. Sur le moment, ce n'était qu'un au revoir avant une nouvelle mission. Une mission hautement risquée mais quoi, nous en avions déjà connu tant d'autres équivalentes tous ensemble. Mais cette fois, il avait voulu y aller seul. "Je préfère que vous restiez là, avait-il dit en réunion. Continuez à faire tourner la boutique, on restera en contact. Je pars loin, mais ça ne m'empêchera pas de revenir." Il avait alors ce sourire qui n'en est pas tout à fait un. Ce sourire que des années à manier sa ruse légendaire de planètes en colonies astéroïdes ont rendu automatique, qui ne signifie plus vraiment la joie mais qui rassure toujours, qui fait que même le plus méfiant des trafiquants d'armes zangarthiens l'aurait laissé aller sans se poser de question.

Il était l'un des héros les expérimentés de notre équipe. Il avait dialogué avec la mort au milieu d'explosions de supernovæ et arpenté l'enfer des batailles pour le contrôle de tel pulsar, pour le maintien de la paix sur tel satellite avant la plupart d'entre nous. Il avait atterri un jour dans nos vies dans son flamboyant vaisseau après avoir affronté quelque tempête sonique dans un bras voisin de notre galaxie. Il était reparti, une fois encore, une fois parmi tant d'autres, dans cette même machine évoquant un dragon minéral, pénétrant dans sa gueule sans trembler. Une fois de trop.

Cela n'aurait jamais dû être le voyage de trop. Nous dédions nos vies à cet univers depuis si longtemps sans nous poser de question, sans penser qu'un combat de plus serait celui qui marquera la fin que, même sans nous réjouir du départ de notre camarade, il ne nous serait jamais venu à l'idée qu'il aurait fallu le saluer comme si c'était la dernière fois.

"Dis donc Starfox, j'ai toujours pas compris où tu fourrais à chaque fois ta queue dans cette combinaison spatiale..."

Patiemment, et toujours avec ce sourire – ciel, je suis sûr qu'il avait encore ce sourire à la fin ! - il nous répondait pour la énième fois : "Et toi, où tu la mettrais ?"

Il était venu nous retrouver dans la salle de contrôle avant de passer dans le silo de lancement, engoncé dans sa tenue de voyage intergalactique bardée de tous les insignes possibles qui lui permettaient d'être reconnu en tant que membre du peuple Iwynog, maître-marchand de la Fédération Damianite, vétéran de la guerre des Pmanos, de l'insurrection végétale de Kranas, de la révolution des Ressuscités, etc. Un minimum pour traverser la galaxie d'un bout à l'autre sans être trop dérangé par toute la marmaille interstellaire et autres fonctionnaires zélés de quelques systèmes solaires trop procéduriers.

Encagoulé, la fourrure qui auréolait son visage ainsi recouverte, il avait presque face humaine. Même son regard, à force de côtoyer notre espèce, avait évolué. Sans doute une autre preuve de ses immenses capacités mimétiques pour mieux se faire accepter d'un peuple qui bien souvent n'a pas manqué de le traiter en intrus, lui, l'alien. Le fait est que la seule chose qui aurait pu nous forcer à nous inquiéter, c'était qu'il partait désarmé. Hors les grandes facultés physiques et intellectuelles propres à sa race, stupéfiantes pour n'importe quel humain, il demeurait un Iwynog comme un autre. Un aventurier prêt à tout, un héros de multiples batailles, un voyageur de l'espace infini, oui, mais là il était sans arme.

"Tu laisses tes sabres ? lui avait demandé le Sergent Fractal, pour qui même la plus petite lame n'est jamais inutile, ne serait-ce que pour s'occuper les mains.
- Je passe d'abord par chez moi où ils ne sont qu'apparat. Là, si j'en ressens le besoin, je prendrai peut-être de quoi m'armer.
- Et si tu croises...
- Ne t'en fais pas Captain Nightfly, si je croisais quelqu'un de mal intentionné dans une station de repos, ce ne sont pas mes lames que je voudrais dégainer en premier."

Il avait dit ça avec un clin d’œil (un geste qu'il avait appris à maîtriser sur Terre). Nightfly savait très bien que Starfox choisirait toujours de ligoter un adversaire dans sa ruse avant de le contraindre par les armes. Notre ami nous a ensuite tous serré la main, a quitté la salle de contrôle, descendu l'escalier de métal, rejoint le Faux-Ami, son vaisseau (comment peut-on voyager en toute confiance, entre les astres séparés de milliards de kilomètres, dans une machine ainsi baptisée ?), pénétré dans sa gueule de rubis tout en le suivant du regard à travers la vitre ; et ce fut la dernière fois que nos yeux ont pu admirer notre compagnon héroïque parti combler un trou noir menaçant une des colonies de son peuple comme on soufflerait l'incendie d'un puits de pétrole.

"Et si on a envie de te passer un p'tit coup de fil ? demanda pour plaisanter HackerGroove. Pour savoir où t'as rangé le sel ou la kryptonite.
- Haha ! Eh bien, il y a toujours le réseau rebond."

Starfox évoquait la technologie de télécommunication la plus répandue de la Voie Lactée, conçue par son peuple, faisant rebondir un signal d'un corps céleste à un autre jusqu'à lui faire atteindre une vitesse très légèrement supérieure à celle de la lumière, abolissant le décalage de quelques millénaires que devrait autrement subir le message, permettant un échange d'information avec une latence relativement courte.

"Avec la masse d'un trou noir, les signaux rebondissant près d'eux sont reçus en quasi instantané. Mais peut-être que ce sera moi qui aurait besoin de vous passer un coup de fil si vous me manquez trop."

On avait bien ri. Si on avait su que c'était exactement ce qui allait se passer...