Do You Love Slapstick, Doctor ?
Tels furent le titre et les mots de cet e-mail laconique signé St.ooges que je reçus un beau jour alors que j’étais en pleine cure de Bugs Bunny. Le re-visionnage de ce chef-d’œuvre absolu de Chuck Jones qu’est What’s Opera, Doc ? m’avait rappelé combien l’humour slapstick est avant tout une affaire de sublimation : celle de prendre tous les clichés et archétypes possibles pour en retirer le suc jusqu’à la lie et les faire éclater au grand jour, dans toute leur magnificence. On bascule alors dans un monde où les conventions sont bafouées et dans lequel le ridicule explose et déborde dans une déflagration de violence jouissive. Il y a eu Bugs Bunny, Tom et Jerry, et bien avant eux Charlie Chaplin, Buster Keaton et toute la vague du burlesque américain, pour ne citer que les plus emblématiques.
Au point d’en avoir fait mon patronyme, eh bien oui, j’aime le slapstick ! Chose que je me suis gardé de dire au mystérieux expéditeur dont le message rejoignit aussitôt la corbeille au même titre que tous ces spams générés par mots-clés.
L’affaire aurait pu en rester là si je n’avais pas reçu quelques jours plus tard I Love Slapstick Too ; comme pour le précédent, la même phrase constituait le titre et le courrier proprement dit. Apparemment, mon messager aime jouer les mystérieux et faire les réponses à ma place. Cela m’a suffit pour lui demander Who are You ?. J’eus ma réponse moins d’une heure plus tard, toujours aussi laconique : Who I Am Doesn’t Matter. Only Music Matters. Je lui demande alors des précisions mais n’obtiens qu’une nouvelle question en retour, totalement improbable : What Do You Think About the Pie-in-the-Face gag ?
… quelque peu confus, je lui dis qu’il s’agit à mes yeux d’un des gags les plus universellement connus, qui tire précisément sa force de sa simplicité régressive, tant dans sa manière de mettre à mal la société du paraître – avec les attentats pâtissiers de Noël Godin – que dans sa capacité à générer une escalade de la violence ludique – avec les grandes batailles de tartes à la crème du cinéma, La Grande Course autour du Monde en tête. J’écris ces mots avec une pointe d’agacement et lui demande le rapport avec la musique tout en sachant à l’avance que je n’aurai aucune réponse claire. Sans grande surprise, un simple Wait and See vint clore la discussion. Je repense alors à ce pseudonyme, St.ooges : il s’agissait de toute évidence d’une référence aux 3 Stooges qui n’étaient pas les derniers à mettre en scène la violence slapstick à base de claques et de crème fouettée en pleine gueule dans leurs films. Et je me demande alors sur quel tordu je suis tombé.
Quelques jours s’écoulèrent et un matin, je trouvai au fond de ma boîte aux lettres une petite enveloppe kraft sans adresse, simplement signée à mon nom. Elle contenait un CD glissé dans une pochette en carton : le visuel représente une jeune femme sur fond rouge se faisant écraser une tarte à la crème au visage par une autre personne située hors-champ ; l’objet porte le titre hôtel splosh BY DJ STOOGES. On retrouve au verso la même victime, souriante, quelques secondes avant de recevoir la tarte, avec une liste de morceaux dont les titres ont tous plus ou moins un rapport avec les pâtisseries ou la nourriture. Le nom de DJ Stooges est une fois de plus indiqué en tant que selector, suivis de 2 logos : un simple carré blanc portant le nom splosh et le dessin d’une tarte accompagnée de la mention Pie in Face Records.
J’examinai, amusé, l’objet sous toutes les coutures lorsque le bonhomme m’envoya un nouvel e-mail.
Et là, ce fut la surprise : non seulement, celui-ci s’exprima désormais en français mais en plus, il devint bien plus loquace.
Il dit être « français(e) » histoire de continuer à brouiller les pistes, être fan de slapstick et de musique et qu’un beau jour, il/elle se demanda s’il était possible de concilier le cadre chic et suave de la lounge music – incarnée par l’Hôtel Costes et ses compils – avec le côté salissant d’une soirée WAM, acronyme de Wet and Messy, ce fétichisme impliquant les substances dégoulinantes dont la tarte à la crème fait partie. C’est ainsi qu’il/elle imagina la bande-son de l’Hôtel Splosh, établissement fictif dédié à ce genre de délires. Il/elle m’expliqua que ma diffusion du titre Black Hole Sun par MakroSoft lors de l’émission Le Retour de Le Grand Détournement fut une révélation et lui donna l’impulsion pour imaginer ce que serait l’équivalent musical de la tarte à la crème : kitsch, vintage, dégoulinante, avec un soupçon de groove et de simplicité évidente. Le message se terminait en me demandant mon avis et j’avais fini par être touché par l’enthousiasme naïf de mon interlocuteur/trice.
J’ai donc écouté le disque en question : le résultat était maladroit mais néanmoins cohérent avec les intentions. En véritable objet Do It Yourself, la compil s’ouvre sur un morceau libre de droits sur lequel mon/ma DJ Stooges a posé une voix synthétique de femme pour présenter le concept avant de basculer dans une sélection musicale que mon cabinet des curiosités n’aurait pas renié. On se retrouve plongé au cœur d’une bataille de tartes, éclaboussé par tous ces sons, ceux de Signal Électrique et Olaf Hund, bringuebalé par Tipsy, englué par MakroSoft et Klaus Wunderlich, délicieusement agressé par Cibo Matto puis emporté dans un torrent d’érotisme dans la dernière partie. J’appose donc sur ce disque un avis favorable et demande à l’intéressé(e) ce qu’il/elle compte en faire. Rien, me dit-il/elle car il s’agit d’un simple délire auquel je suis le seul à avoir été convié, étant d’après lui/elle « une personne qui saurait me comprendre ».
Ma foi, cela aurait été véritablement le cas si cette personne acceptait de me dire qui elle était. Mais elle me demande de ne pas insister là-dessus car elle refuse tout contact avec l’extérieur, me dit que DJ Stooges en tant que tel n’existe pas vraiment, tout comme Pie in Face Records et qu’une fois encore, seule la musique compte. Ce qui est pour moi l’occasion de lui demander pourquoi m’avoir approché comme il/elle l’a fait. Pour me tester et voir si j’étais suffisamment interloqué pour aller vers lui/elle tout en ajoutant « Je ne suis pas très doué(e) pour les prises de contact ». Finalement, le personnage me fait plutôt de la peine et je lui demande si je peux diffuser sa compil sur le blog des G-Spots et lui disant qu’un tel rapprochement entre musique et tarte à la crème méritait d’être partagé ; je reçois son accord en le soupçonnant d’avoir voulu cela et lui adresse un dernier message pour savoir s’il/elle avait l’intention de faire d’autres compils du même genre. Il/elle me répond que ça dépendra, que j’en serai informé le moment venu et qu’il sera inutile d’ici là de lui envoyer d’autres messages car il/elle n’y répondra pas.
Voici donc à quoi ressemble ce délire. Et, en attendant, je ne sais toujours pas quoi penser de ce personnage mi-fascinant, mi-agaçant.
00 : 00 - TEKNOAXE feat. DJ STOOGES Laid Back - Welcome to the Hôtel Splosh
01 : 21 - SIGNAL ÉLECTRIQUE Space Cake
03 : 34 - MAKROSOFT Black Hole Sun
08 : 06 - JÜRGEN SCHLACHTER Hahahoho - The Big Laugh
08 : 37 - OLAF HUND Fraîcheur citron vert
12 : 00 - HENRY MANCINI Pie in the Face Polka
14 : 21 - TIPSY Chocolate Moon
16 : 37 - CIBO MATTO Birthday Cake
19 : 35 - MR. SCRUFF Fish
23 : 32 - KLAUS WUNDERLICH Humoresque
25 : 53 - LE SACRE DU TYMPAN Sérénade pour l'entarteur
30 : 25 - MARIE-CHRISTINE MAILLARD L'hymne à la crème fraîche
33 : 55 - LA FINE ÉQUIPE - LA BOULANGERIE Bible meringuée
36 : 23 - AVRIL French Kiss
44 : 27 - SAM FONTEYN Pizzicato Playtime