Si nous en avions déjà parlé lors de notre émission spéciale Poils (un coup d’œil au portrait de l'artiste suffit pour percevoir le lien avec ce thème), nous devions revenir aujourd'hui sur l'une des figures les plus exceptionnelles de la musique contemporaine car, en ce 26 mai 2016, nous célébrons le centenaire de la naissance de celui que l’on surnommait « le Viking de la 6e avenue de New York », Monsieur Louis Thomas Hardin alias Moondog.
C’est en 1943 qu’il arrive à New York et devient musicien de rue, où il déclame des poèmes qu’il vend également aux passants et chante en s’accompagnant d’instruments de percussions de son invention, comme le trimba à la forme triangulaire atypique. Au cours de cette période, il prend le pseudonyme de Moondog en référence à son chien-guide qui avait l’habitude de hurler à la lune et développe une fascination pour la mythologie nordique qu’il exprime en s’habillant en viking. L'homme devient une source de curiosité pour les passants, le faisant entrer dans le folklore new-yorkais, ce qui ne l’empêche nullement de recevoir le respect de chefs d'orchestre et de musiciens renommés tels que Benny Goodman, Charlie Parker, Arturo Toscanini, Leonard Bernstein ou Igor Stravinski. Autant de relations qui lui vaudront d’être invité régulièrement au prestigieux Carnegie Hall.
Durant les années 50, il commence à sortir ses premiers disques expérimentaux mêlant sons enregistrés dans la rue, percussions et sonorités exotiques, mais aussi des œuvres plus légères, comme un album de berceuses chantées par l'actrice Julie Andrews. 1969 marque la sortie de l’album éponyme Moondog, probablement le plus emblématique de sa discographie, incluant le célèbre "Bird's Lament", dans lequel son style classique-moderne s’affirme : classique d’une part dans la mélodie, la rythmique et l’art du contrepoint (dont il est un maître), et moderne d’autre part dans l’utilisation de rythmiques proches du jazz et des percussions traditionnelles indiennes. Cette dernière influence lui vient de son père, pasteur itinérant, qui l’emmenait dans des réserves indiennes où il put assister à une danse du soleil et fut même autorisé à assurer les percussions à l’une d’elles. Il n'en faut pas plus pour intéresser les artistes de la beat-generation comme Allen Ginsberg dont il accompagnera musicalement les lectures. En 1971 sort un disque sobrement intitulé Moondog 2 qui présente une série de 26 morceaux de rondes, de canons et de madrigals (album réuni à celui de 1969 dans la version CD).
Moondog s'est toujours senti comme un européen en exil et en 1974, suite à son concert à Francfort l’Allemagne devient sa nouvelle patrie. En dépit de sa notoriété dans le milieu musical, il poursuit sa route comme artiste de rue et rencontre une jeune femme nommée Ilona Goebel. Celle-ci, réalisant son statut de musicien reconnu, ne comprend pas comment Moondog peut ainsi vivre dans la rue et décide de l‘héberger. Ce qui ne devait durer que quelques jours durera finalement 25 ans au cours desquels Ilona mettra fin à ses études pour traduire du braille les compositions de l’artiste et se charger de la publication de ses œuvres sur disques.
L’homme composera sans arrêt, malgré une production discographique de plus en plus réduite au fil du temps. On peut citer parmi ces œuvres A New Sound of an Old Instrument (1979) consacré à l’orgue, Elpmas (sample à l’envers), sorti en 1992, album de protestation contre le traitement violent du peuple aborigène et de la nature en général, plus planant et expérimental que les autres, à rapprocher de la world-music, ainsi que Sax Pax for a Sax (1994) développé autour du saxophone. Entre temps, il revient brièvement aux États-Unis en 1989 en tant qu’invité au festival New Music America Festival aux côtés de musiciens avant-gardistes comme Butch Morris ou John Zorn.
Au cours de la nuit du 8 septembre 1999, il s’éteint dans un hôpital à Münster à l’âge de 83 ans. À quelques minutes près, il aurait quitté cette terre le 9/9/99.
En 2016, Moondog est toujours d'actualité, notamment avec la production en cours d'un documentaire, The Viking Of The 6th Avenue incluant images d'archives ainsi que des interviews avec certains de ses amis et collaborateurs comme des artistes qu'il a inspiré, ce qui inclut Jarvis Cocker (Pulp), John Zorn, Chris Stein et Debbie Harry du groupe Blondie, Damon Albarn (Blur, Gorillaz) et le compositeur Philip Glass. Ci-dessous une bande-annonce qui, nous l'espérons, creusera encore votre curiosité pour un des génies méconnus du XXe siècle :
Article rédigé avec la participation de l'Amiral Animal.