Si vous avez prêté une oreille au dernier podcast récemment mis en ligne par les hautes autorités des G-Spots, vous m'avez très certainement entendue faire l'éloge de ce groupe suisse qui - et je suis prête à miser gros là-dessus - n'avait jamais ne serait-ce qu'effleuré l'esgourde du mélomane avide de curiosités que vous êtes. Point de honte à avoir, on ne peut pas dire que les Young Gods soient particulièrement populaires. C'est un groupe que j'ai moi même découvert sur le tard mais qui, très rapidement, a pris une place centrale dans mon panthéon musical personnel.
Vous l'aurez compris,
voilà un groupe qui me tient particulièrement à cœur ; mais
malgré ce sincère engouement, je ne savais pas vraiment quelle
perspective aborder tant la tâche me semblait rude. Comment aborder
convenablement cette carrière si discrète et en même temps si
influente ? Comment rendre compte du statut à la fois à part
et incontournable du groupe ? Le houmous israélien surpasse
t-il vraiment la houmous grec comme l'outrecuidant Captain Nightfly
aime à le prétendre ?
Tant de questions restées sans réponse, tant d'interrogations suspendues...
Et puis finalement, le
déclic : quelle meilleure perspective pour parler de la musique
des Young Gods que celle de la fusion des genres ? Finalement,
quel meilleur créneau pour aborder la carrière de ce groupe que
certains journalistes musicaux, par paresse, ont trop souvent
tendance à ranger du côté de l'indus ? Cette filiation colle
à la peau du groupe depuis ses débuts, et sans être réductrice
pour autant, elle ne rend absolument pas compte de l'identité
fondamentalement et ontologiquement inclassable des Young Gods.
Personnellement, ma
première rencontre avec les Gods s'est faite via leur page Wikipédia. On ne va pas se le cacher, cela reste souvent la première
source d'information, la première « vitrine » à
laquelle on a accès. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que
la vitrine des Young Gods est pour le moins attrayante : Trent
Reznor, Devin Townsend, Maynard James Keenan, Mike Patton, David
Bowie (entre autres) ont très clairement revendiqué l'influence de
cet abscons groupe suisse. Oui, c'est une jolie brochette. Et
personnellement, ce ne sont que des musiciens pour lesquels j'ai la plus
haute estime. Au-delà de ça, c'est quand même assez fascinant de
voir réunies toutes ces figures elles-mêmes assez représentatives
d'approches musicales tellement bigarrées qu'il en devient périlleux
(ou con, au choix) de les classifier. Les Young Gods ressemblent aux
gens qu'ils ont influencés, mais en beaucoup moins reconnus.
Malgré ce côté très
confidentiel qui caractérise bien le groupe, la musique des Young Gods va
rapidement interpeller par-delà les frontières assez opaques de la
Suisse, et ce, dès la parution de leur premier album. Sorti en 87,
deux ans après la formation du groupe, l'opus The Young Gods séduira
le très indie Melody Maker qui le propulsera au rang « d'album
de l'année », leur offrant alors une visibilité non
négligeable et finalement assez inattendu pour un groupe habitué aux
petites salles voire aux concerts dans des squats.
Il faut dire qu'il y a
matière à interpeller. Riche d'une identité déjà très affirmée,
ce premier album marquera les esprits dans sa volonté de brouiller
les pistes et de télescoper le rock'n'roll à grands renforts
d'échantillonneurs et de bidouillages électroniques en tout genre.
Car contrairement à pas mal de groupes underground de l'époque (dans
la musique industrielle notamment), les Gods n'ont jamais refusé le
rock, que ce soit en terme de structures, de sons, ou d'influences.
Fondamentalement ouvert d'esprit, Franz Treichler (chanteur et
principal compositeur du groupe), a toujours fait coexister dans sa
musique des influences très disparates: rock, punk, heavy metal,
musique industrielle, musique de cabaret, musique classique... bref, de Cabaret Voltaire à Mozart en passant par les Stooges.
La musique des Young Gods
est un joyeux patchwork scellé par une approche très particulière
du sample, approche qui m'évoque complètement les collages
dadaïstes et surréalistes du début du XXe siècle. Ce qui motive et a toujours motivé
Treichler en tant que musicien (et pour utiliser un terme qui lui
semble cher), c'est « l'élément de surprise ». De fait,
la première partie de la carrière des Gods peut se révéler être
déstabilisante pour un auditeur non averti. Pour autant, leur
musique ne créée jamais vraiment de malaise profond, et c'est là un
autre point de rupture par rapport à la majorité des productions
underground de l'époque. Les Gods n'utilisent pas le sample pour
transformer notre cerveau en usine à gaz fumeuse, mais plutôt comme
le vecteur d'une énergie très particulière, paradoxale parfois, à mi-chemin entre la primitivité la plus directe et
l'avant-gardisme le plus subtile.
Envoyé – The Young Gods (1987)
Fais La Mouette - The Young Gods (1987)
L'Amourir – L'Eau Rouge (1989)
Solomon Song – Play Kurt Weill (1991)
Le grand tournant de la
carrière des Young Gods s'amorcera en 1992, avec l'album T.V. Sky.
Recherchant une unité de son plus marquée, cet album laisse la part
belle aux samples de guitare et à une production plus typée « mur
du son ». Les Young Gods envoient l'artillerie lourde et ça
fait beaucoup de bruit. Mais, malgré cette recherche formelle
d'uniformité, T.V. Sky s'avère être un album tout aussi riche
en contrastes que ses prédécesseurs. Un son massif et puissant nappé d’éléments rock, psychédéliques et
électroniques, une sorte de « rencontre entre ZZ Top et
Kraftwerk » comme Treichler aime à qualifier le morceau
Gasoline Man, voilà la nouvelle expérience auditive à laquelle les
Gods nous convient à travers cet album.
Plus j'écoute T.V. Sky,
plus je m'étonne et regrette que cet album ne soit finalement que
très rarement cité par les amateurs de metal industriel qui, pour
la plupart, ne voient pas plus loin que Ministry et Rob Zombie. Mais
plus j'y pense, et plus je me dis qu'il est en réalité difficile
d'affirmer que les Gods n'ont pas eu la carrière qu'ils méritaient
tant celle-ci découle de choix artistiques et personnels forts. En
termes de popularité, j'ai parfois tendance à penser qu'il auraient
pu prétendre à une carrière à la Nine Inch Nails. En tout cas,
dans les années suivants T.V. Sky, autour de la période 92 – 96, la
conjoncture dans laquelle le groupe a été amené à évoluer
pouvait laisser le présager. Déjà épaulé outre-Atlantique par l’iconique Wax Trax! Records ainsi que par une fan-base aussi
discrète que dévouée, les Gods se sont vus proposer un contrat de
15 000$ (somme loin d'être dérisoire lorsque l'on vient du milieu
l'underground ) pour signer chez la grosse écurie Interscope.
Après l'explosion T.V. Sky, qui représente la première percée internationale du groupe, on aurait pu craindre une perte d'identité. Only Heaven, sorti en 1995, viendra démentir toute suspicion de normalisation du groupe. Décidant de poursuivre leur fructueuse collaboration avec Roli Mosimann, ancien batteur des Swans reconverti en producteur, les Gods poursuivent à travers cet album leur insatiable quête de nouvelle textures sonores. Loin d'être une resucée de T.V. Sky, Only Heaven se montrera beaucoup plus expérimental que ce dernier, à l'image de l'incroyable saga électro-ambiante et psyché que représente un morceau comme "Moon Revolutions".
Après l'explosion T.V. Sky, qui représente la première percée internationale du groupe, on aurait pu craindre une perte d'identité. Only Heaven, sorti en 1995, viendra démentir toute suspicion de normalisation du groupe. Décidant de poursuivre leur fructueuse collaboration avec Roli Mosimann, ancien batteur des Swans reconverti en producteur, les Gods poursuivent à travers cet album leur insatiable quête de nouvelle textures sonores. Loin d'être une resucée de T.V. Sky, Only Heaven se montrera beaucoup plus expérimental que ce dernier, à l'image de l'incroyable saga électro-ambiante et psyché que représente un morceau comme "Moon Revolutions".
Only Heaven sera la
première et dernière expérience des Gods avec une grosse major.
Non pas que cette collaboration ce soit mal passée, mais après une
tournée harassante et l'abandon de Use Hiestand (le batteur de
l'époque) à la fin de cette dernière, les Gods, sans doute lassés
par les contraintes que ce type de contrats peut suggérer
(l'obligation de résider sur le territoire américain et donc de
changer radicalement de mode de vie), prirent la décision de
rassembler leurs cliques et leurs claques pour se rapatrier du côté de
Genève. Pour la peine, ils sortent dans la foulée Heaven
Deconstruction, première excursion ambiante du groupe.
La sortie en 2000 de
l'album Second Nature viendra confirmer le tournant rock-électro des
Young Gods. Pour autant, la complexité du son du groupe vient ici
s'enrichir d'une nouvelle approche, d'une nouvelle couche sonore
beaucoup plus organique que sur les albums précédents. La musique
des Gods fourmille, elle tressaille. Second Nature a une place
particulière pour moi. C'est par lui que j'ai débuté mon
initiation aux Young Gods, et il reste pour moi l'album le plus
planant du groupe, le plus immersif.
Cette ambiance très
organique qui traverse Second Nature va inaugurer chez les Gods une
période plus instrumentale et atmosphérique. De 2002 à 2004, ils
sortiront deux albums de musique ambiante : Six Drew Point, et
surtout, le magistral Music For Artificial Clouds que je considère
personnellement comme un sommet de musique concrète, une parfaite
fusion entre l'analogique et l'organique.
Après
cette parenthèse ambiante, les Young Gods vont, contre attente,
rentrer dans une phase particulièrement prolifique de leur carrière.
La sortie du best-of XXY pour les 20 du groupe leur donne l'occasion
de se replonger dans leur très large répertoire. Histoire de bien
faire les choses, les Young Gods se paient le luxe d'un concert
"best-of" électro-symphonique avec le Lausanne Sinfonietta à l'occasion du
Festival de Montreux. Cerise sur le gâteau, ils sont rejoints sur
scène pour deux chansons par leur fan-boy number one, le sieur Mike
Patton.
Sans
doute mis en contact par ce dernier via Ipecac Records, les Young
Gods collaborent pour quelques concerts avec l'excellent groupe de
hip-hop Dälek. Encore une fois, la fusion des genres est frappante
et fonctionne particulièrement entre ces deux univers.
En
2007, ils sortent Super Ready/Fragmenté. Ce nouvel album semble revenir à
une approche plus rock, plus directe et instinctive, rappelant
l'énergie initiale des premiers albums. La boucle semble bouclée.
Mais voilà, après avoir bâti tout son son et son approche musicale
sur les samples et les machines, les Young Gods décident maintenant
de prendre le contrepied et d'explorer de nouvelles contrées, plus
acoustiques cette fois. Ils se lancent alors dans un travail de
réarrangement assez considérable de plusieurs anciens morceaux,
toutes périodes confondues, des plus indus aux plus électroniques,
afin d'exploiter leur potentiel mélodique et acoustique. Un an
seulement après Super Ready/Fragmenté, Les Young Gods sortent le
somptueux Knock On Woods. Pas grand chose à ajouter sur cet
album si ce n'est : écoutez le bordel, ÉCOUTEZ LE ! Aller, histoire de mettre
tout le monde d'accord et de rendre un p'tit hommage à Alan Vega et
à Suicide, voici une sublime reprise de "Ghost Rider", mélangée avec
le morceau des Gods « Gardez les esprits », le tout
version acoustique.
Chez
les Gods, il existe deux, parfois trois versions d'un seul et même
morceau. C'est un fait qui peut paraître anodin, mais pour moi cela
témoigne d'une volonté de toujours faire. évoluer leur
musique, la confronter en permanence à de nouvelles approches.
Everybody
Knows, sorti en 2010, viendra en quelque sorte sublimer cette
fructueuse période. A la fois rock et acoustique, organique et
synthétique, il cristallise parfaitement les différentes directions
prises par le groupe au fil des années. Un équilibre parfait semble avoir été trouvé. Pourtant, depuis cet album, le groupe semble être entré
dans une phase de hiatus non officiel. Dans plusieurs interviews
récentes, l'on sent Treichler un peu hésitant quant à l'avenir
du groupe et la nouvelle tendance à explorer. Alors oui, ces
dernières années, les Young Gods ont beaucoup tourné et Treichler
a multiplié les collaborations et les projets parallèles, mais rien
de vraiment nouveau à se mettre sous la dent.
Everybody
Knows serait-il le dernier soubresaut artistique et créatif d'un
groupe en perte de vitesse ? Cette volonté acharnée de
fusionner les genres et les approches musicales mène-t-elle
inévitablement au manque d'inspiration ?
Tant
de questions restées sans réponse, tant d'interrogations
suspendues...
Terminatar