Malgré un petit côté
creepy et occulte que la synthwave aime se donner, impossible
d'ignorer les influences ultra pop que cette musique déploie. Un
groupe comme Dance With The Dead est l'un des exemple les plus
représentatifs de cette tendance qui, malgré son côté résolument
fun, tombe parfois dans un « boom-boom » un peu trop
prédominant à mon goût. Une musique taillée et calibrée pour le
dancefloor en somme. Sans pour autant blâmer la démarche, je vois
chez un Carpenter Brut ou même chez Perturbator une façon un peu
plus subtile de mêler ces influences pop et dance, et surtout une
manière plus ingénieuse d'en jouer. En se sens, la géniale
pochette du désormais culte Trilogy, sorti par Carpenter Brut en
2015 (illustration en tête d'article), cristallise bien toute cette fascination retro en faisant appel à
un univers visuel ultra référencé, presque stéréotypé, une
sorte de mythologie pop et pulp pour trentenaires nostalgiques.
Indéniablement, la
synthwave semble trimbaler un important bagage tout droit hérité de
la pop culture des années 80. Vous savez, cette pop décomplexée
certes très kitsch et frisant parfois le mauvais goût mais qui,
pour beaucoup, a l'irrésistible saveur d'une madeleine de Proust. La
synthwave convoque toute cette mémoire collective où les Madonna,
Samantha Fox et Cyndi Lauper sont érigées au rang d'illustres icônes
populaires, symboles d'une époque qu'aujourd'hui nous avons tendance
à idéaliser avec candeur et nostalgie. Et puisque que Jermaine Jackson parle plus qu'un long discours socio-culturel chiant, voici une
petite sélection bien savoureuse. Et ne nous mentons pas, c'est notre pêché mignon à tous.
Oui, même à toi là-bas, le fan de dark brutal technique a tendance
prog et free-jazz, avoue !
Mais ne généralisons
pas, la musique des années 80 ne recèle pas uniquement que de tubes farfelus et kitchouilles. Dans un registre un peu plus pointu,
les 80's c'est aussi Prince, Kate Bush, Peter Gabriel, Depeche Mode,
Talk Talk et tout un tas d'autres musiciens qui, tout en restant
populaires, ont réussi à imposer leur patte très particulière
dans une industrie musicale de plus en plus normée.
Je pose là le génial
Saturn Strip d'Alan Vega sorti en 83 dont la pochette saura séduire
n'importe quel amateur de synthwave.
Plus à la marge encore,
on ne peut pas non plus minimiser l'impact tant musical
qu'esthétique de scènes plus obscures comme le rock gothique, le
post-punk ou l'électro indus. Il est évident que des groupes comme
Confrontational, Trevor Something ou encore Noir Deco se sont abreuvés
de ces différentes cultures underground. Le cas de l'électro-indus
et de l'EBM est très intéressant dans le cadre de cet article qui
cherche à déceler les différentes influences brassées par la
synthwave, qu'elles soient utilisées de manière consciente ou
inconsciente. De par ses rythmes claquants et répétitifs, ses
sonorités très synthétiques et ses mélodies tantôt entraînantes
tantôt franchement sales, de nombreux éléments sont réunis pour
plaire aux fans de synthwave. Fatalement, on songe à certains grands
noms de la scène comme Front 242, Front Line Assembly, Nitzer Ebb ou
même KMFDM, mais pour moi, le groupe le plus influent de cette scène
reste et restera Skinny Puppy. Formé en 1982 à Vancouver, ce groupe
m'a toujours fasciné dans sa façon très particulière et plutôt déstabilisante de mêler des éléments très dansants, presque
désuets, à un univers global beaucoup plus glauque et pesant. C'est
un peu l'esprit Le Perv, mais en franchement
plus malsain.
Assimilate, Bites (1985)
Worlock, Rabies (1989)
Chris & Cosey, Trance (1982)
Tekno Acid Beat, fausse compilation de Psychic TV (1988)
Coil, Love's Secret Domain (1991)
Afin de sortir un peu de nos références et de nos carcans très occidentaux et histoire de souligner l'héritage Chiptune que la synthwave revendique, rendons-nous au Japon le temps de l'incroyable premier album de Yellow Light Orchestra qui, dès la fin des années 70, s’affairait joyeusement à donner à leur synthpop une saveur 8-bit tout à fait délectable.
Yellow Magic Orchestra, Yellow Magic Orchestra (1978)
Cette influence du
chiptune et de la musique 8-bit met bien en exergue le côté ultra-référentiel de la synthwave ainsi que son affiliation directe à la
culture retro-gaming. Car, si certains ont découvert la synthwave
par un film comme Drive et sa BO signé Kavinsky, on doit véritablement
l'explosion du genre au jeu vidéo retro Hotline Miami. Les deux
volets de ce p'tit jeu indépendant, tout en 2D et s'inspirant
directement de GTA Vice City et, plus globalement de l'univers à la
fois kitsch et badass de Scarface, ont connu un succès assez
phénoménal et plutôt inattendu de la part d'une petite boîte de
prod comme Dennatron Game. Avec des B.O. composées de morceaux de
Carpenter Brut, Perturbator, Mitch Murder et Megadrive, nul doute qu'Hotline Miami a été un levier pour nombre d'artistes synthwave. Pas étonnant donc de voir que le Synthzilla Festival rendra hommage aux
créateurs de Hotline Miami qui seront présents lors de la très
attendue Indie Game Night.
Malgré toute la
meilleure volonté du monde, il est impossible de ne pas parler de
cinéma lorsque l'on aborde l'univers visuel très particulier de la
synthwave. Ou plutôt devrais-je dire les univers visuels. Car si vous
avez trouvez que je passais du coq à l'âne en vous parlant à la
fois de Jermaine Jackson et de Coil dans le même article, les cocos,
laissez-moi vous dire que vous n'avez encore rien vu ! Outre les
références évidentes et presque rabâchées au cinéma de John
Carpenter, à Blade Runner, Terminator, et plus globalement à toute
la vague SF des années 80, la synthwave déploie tout un spectre visuel à
la fois dense et bigarré. Si on met de côté l'esprit Lamborghini, néon rose et décolleté XXL qui se dégage d'un bon
nombre de pochette, force est de constater qu'on tombe sur tout un tas d'artworks ultra classes et franchement chiadés. Qu'ils soient directement inspirés
du cyberpunk, ou d'inspiration plus SF à la Chriss Foss, John
Berkley, John Harris ou Moebuis, certains visuels développés par la
synthwave se révèlent être incroyablement immersifs et
contemplatifs.
Dan Terminus, Rêverie (2014)
Moebius
Kalax, Kalaxy (2015)
John Harris
Pour citer des influences
plus directement cinématographiques, les codes visuels qu'emprunte
la synthwave doivent également beaucoup au cinéma d'horreur au sens
très large du terme : des films estampillés Hammer, aux
incontournables slashers, en passant par les zombies de Romero, les
ambiances glauques de Carpenter, le giallo italien et le cinéma de
série B voire Z, voilà une musique faite par des passionnés pour
des passionnés. Du complètement nanardesque au plus
reconnu, du subtilement atmosphérique au totalement kitsch, la
synthwave est un sincère hommage au cinéma de genre.
GosT, Non Paradisi (2016)
Musique, cinéma, jeux
vidéo... la synthwave est décidément polymorphe et sans doute difficilement identifiable pour les profanes. Malgré une cohérence
que seuls les passionnés sauront déceler, les différents medias et
univers explorés par la synthwave peuvent sembler disparates et
inégaux. En réalité, toutes ces écoles visuelles se contaminent
les unes les autres, formant un tout à la fois homogène et éclectique.
Mais attention à ce que
cet hommage, initialement très sincère, ne tourne pas en une espèce
de fourre-tout musical et esthétique dénué de toute démarche
artistique. Aussi, cette tendance qu'ont beaucoup d'artistes
estampillés synthwave à utiliser à tout va des croix inversées et
des pentagrames m'interpellent et me questionnent. Si je n'ai
personnellement aucun problème avec le côté ultra référentiel de
la synthwave, j'ai néanmoins plus de mal quant à l'exploitation de
ce genre de symboles sans le background culturel et philosophique
qui va avec. Que ce soit pour le métalleux pas cultivé pour un sou mais qui veut absolument montrer à quel point il est
anticonformiste, ou pour la fashionista hipster accro à Instagram,
ces symboles occultes sont aujourd'hui devenus de vulgaires
accessoires de mode et les arguments de vente d'un marché particulièrement rentable. Ce
dernier aspect semble révéler une sorte d'impasse dans laquelle
certains groupes de synthwave peuvent être susceptibles de
s'engouffrer : une sur-représentation esthétique et symbolique prenant le pas sur la
qualité musicale, référencée ad nauseam et tombant de fait dans
un systématisme visuel ultra prévisible et dénuée de toute
consistance.
Attention donc de ne pas
adopter une démarche d'hipsterisation à outrance, histoire de ne pas glisser
vers des absurdités stylistiques comme la Witch House - oui, ça
existe -, dont la typographie tout en (▴ öO †▲ ‡ ▲ o.Oo▲
† △ )) ▴ suffit à nous refiler la gerbe. Alors
imaginez la musique...
Personne ne veut ça, n'est-ce pas ? ... so keep it true.
Terminatar.