samedi 4 mars 2017

Folklore, peuples, mythologies contemporaines : cinq piliers

Kriemhild se jetant sur le corps de Siegfried, Johann Heinrich Füssli


Comment aborder le folklore, ce fait humain si singulier qui relève du "génie" de chaque peuple, sans passer par la production artistique, et mieux encore, par l'assimilation des faits folkloriques anciens par notre société contemporaine?

Notre chère amie Terminatar a déjà bien abordé cette notion, et notamment de folklore comparé, dans son article qui part dans les contrées slaves du grand Béla Bartók. 

Voici, sans limite stylistique ni géographique, cinq albums piliers d'un folklore ancien revisité, ré-incorporé à une démarche contemporaine, qui nous rapproche, dans la problématique, d'une anthropologie qui frôle parfois la sociologie, la linguistique, ou encore la politique... pour le meilleur et pour le pire.


Laibach - Volk


Loin de moi l'idée de vouloir résumer ici la corrélation entre Laibach et le folklore, tant celle-ci est riche, dense et s'est exprimée de manières variées pendant toute l'existence du projet artistique slovène qu'est Laibach.

Il était impossible de ne pas aborder l'album "Volk" en parlant de folklore.

Leurs intentions ne pouvaient pas être plus claires, Volk, c'est le peuple. La métaphore des moutons et du loup (peuple et Etat ? Peuple et politique ?) matérialisée dans les très belles aquarelles qui composent l'artwork de l'album.

Laibach, parle ici des peuples et aborde encore une autre facette de ce qu'est le folklore, au-delà de ses manifestations culturelles. Le folklore, c'est également l'histoire commune d'un peuple, dans la notion de pays, d'état souverain. Et qui dit pays, dit hymne national. 

Laibach s'attaque ici à une réécriture pertinente et radicale des hymnes nationaux de quatorze pays (incluant le Vatican), poursuivant son questionnement du folklore contemporain, déjà abordé avec la reprise d'hymnes de musique populaire. Laibach propose une interrogation constante, matérialisée par l'autopsie minutieuse de ce qu'est le folklore populaire, étatique, politique et totalitaire.



Negură Bunget - OM


Negură Bunget, sont, selon leur propre définition, un "brouillard sombre qui vient d'une forêt profonde". Fer de lance depuis 1994 d'un black metal pour le moins singulier, les Roumains proposent une musique qui ne peut être separée de la notion de folklore. En effet, Negură Bunget propose une musique progressive qui explore le folklore roumain et, plus généralement, tout le folklore de la région des Carpates.

Véritable hommage et exploration méticuleuse d'un folklore typiquement européen, jusque dans la langue : la plupart des textes de Negură Bunget sont en ancien roumain et l'incorporation d'instruments traditionnels régionaux est fréquente.

Dans ce sens, Negură Bunget se rapproche d'une vision très absolue du black metal. Musique exaltante par excellence, le black metal puise ses origines dans l'interrogation absolue de la nature, sa contemplation, le questionnement sur la valeur mystique des éléments, bien avant que ce genre soit récupéré par une quelconque notion de nationalisme ou de politisation bas du front.

Il est bien souvent malheureux de voir Negură Bunget programmé, notamment en France, côte à côte avec des groupes aux idéologies plus que nationalistes.

Negură Bunget incarne une vision très large du folklore, et son exploration contemporaine d'un point de vue artistique et mythologique, avec pour ambition de faire revivre, et de faire perdurer, des spécificités folkloriques bien abîmées par la christianisation de l'Europe.



Death In June -  Nada!


La musique de Death In June a bien souvent été définie comme de la néofolk, de la darkfolk, sans oublier leurs racines post-punk au début de leur carrière. Véritable kaléidoscope musical et référentiel, Death In June est un projet riche, complexe et, comme bien souvent dans ce genre de cas (coucou Laibach), sujet à nombreuses controverses politiques.

On connait l'utilisation parfois obscure de Douglas P. de certains éléments visuels du IIIe Reich. Mais il serait réducteur de limiter l'exploration historique qu'a opéré Death In June à une fascination premier degré pour l'Allemagne nazie. Death In June a, sur près de 35 ans de carrière, analysé le folklore européen, que ce soit d'un point de vue historique, symbolique et occulte, en passant par l'iconographie, la recherche sur le symbolisme, ou encore via l'incorporation de structures musicales relevant de la musique folklorique.

S'il y a bien une chose à retenir de Deah In June, c'est tout d'abord une immense richesse musicale, et une exploration touffue des cultures folkloriques païennes et pré-chrétiennes.



Current 93 - All The Pretty Little Horses


Il est difficile de parler de Death In June sans aborder Current 93. En effet, David Tibet est une pierre angulaire à ces deux projets. Passionné d'occultisme, de paganisme germanique, Tibet livre avec Current 93, une exploration du folklore dans le sens où ce dernier est une manifestation de l'imaginaire commun à toutes les sociétés humaines, dans l'imaginaire, l'occulte, le païen, avant les dogmes uniformisés des grandes religions d'état.

Cette richesse anthropologique est merveilleusement explorée dans la production de Current 93, du paganisme pré-chrétien à l'occultisme de Crowley. Là où Current 93 est singulier, c'est par son fond foncièrement folk, contrebalancé par une forme musicale industrielle, voire expérimentale, en s’intéressant jusqu'à la berceuse, noyau du folklore et de la tradition orale.



Mike Patton - Mondo Cane


Le folklore populaire ne s'exprime pas que dans l'interrogation profonde sur la notion de peuple, de culture. Le folklore peut s'exprimer d'une manière tout aussi pertinente dans les arts du peuple.

C'est la démonstration que nous offre Mike Patton, italophile depuis maintenant quelques années. 
Album très tendre et riche, Mondo Cane est une vue d'ensemble de la chanson populaire italienne des années 50 et 60, de laquelle Patton est tombé littéralement amoureux.

Musique populaire radio par excellence, la variété italienne a cela de singulier que les artistes s'accompagnaient la plupart du temps d'orchestres et non pas de formations pop. 

Patton a réussi, avec Mondo Cane, à livrer un hommage tendre et raffiné à la musique populaire italienne, qui prend ses racines dans la musique napolitaine, musique folklorique par excellence, car existant seulement dans un périmètre géographique très délimité. 

Il est à noter que pour cet album, Patton a réuni un orchestre composé en majorité de musiciens ayant accompagné les chanteurs populaires italiens dans les années 50 et 60. 

Mondo Cane est également le nom d'un film italien de 1962, qui se proposait d'une manière très controversée et provocatrice, de faire le tour des traditions folkloriques les plus incompréhensibles et rebutantes pour un public occidental.

Mondo Cane est une véritable sucrerie auditive, et qui rend, à raison, ses lettres de noblesse à une musique légère, souvent moquée car populaire, mais très riche musicalement, à placer à côté de la singularité harmonique d'un Morricone, grand habitué des hommages de Mike Patton.

Un hommage à la spécificité italienne en termes de musique populaire, car qui dit folklore, dit forcément étude et analyse de la spécificité, de la singularité créative des peuples à travers le temps et les créations artistiques des sociétés.