jeudi 4 août 2016

Le Cabinet du Docteur Slapstick : Parappa the Rapper


Je ne vous apprendrai rien en vous disant que la notion de rythme en musique, c’est comme pour tout : ça s’apprend. En général, durant l’école maternelle lors de comptines accompagnées de jeux de doigts ou d’exercices de gymnastique… autant d’activités qui font travailler la coordination de nos mouvements et dont l’accomplissement, maladroit et touchant, se déroule lors du spectacle de fin d’année sur un choix musical douteux. Et puis on grandit, on commence à se forger une culture musicale… peut-être même commence-t-on à la pratiquer.

Car au fond, qu’est-ce que jouer d’un instrument, si ce n’est une gymnastique intellectuelle effectuée du bout des doigts ? Et si je parle spécifiquement de doigts et non de bouche (n’y voyez là aucune connotation sexuelle de ma part), c’est tout simplement pour parler de cet outil particulier qui peut contribuer à acquérir le sens du rythme, à savoir le jeu vidéo. Il n’y a qu’à voir l’immense succès de licences telles que Guitar Hero ou Dance Dance Revolution pour s’en convaincre. Et si votre serviteur a lui-même connu le sympathique Bust a Groove parmi ses premiers jeux sur PS1, il est pourtant un jeu sur cette machine qu’il serait bon de se remémorer… celui par lequel tout ou presque a commencé dans la popularisation du genre. J’ai nommé… Parappa the Rapper !


Avouez-le, ça vous a manqué…

Créé par Masaya Matsuura en 1996, Parappa the Rapper avant d’être un jeu de rythme, c’est d’abord un univers graphique à part entière, en l’occurrence celui de l’artiste new-yorkais Rodney Alan Greenblat. Avec son trait naïf et ses couleurs acidulées, Greenblat donne vie à un bestiaire dans lequel se côtoient animaux, végétaux et ustensiles anthropomorphes. Le caractère enfantin qui se dégage de cette joyeuse sarabande est d’ailleurs renforcé par le fait que les personnages sont animés dans un environnement en 3D… tout en ayant conservé leur caractère 2D, comme s’ils étaient des figurines de papier découpé, tout ça 4 ans avant Paper Mario. Mais loin de se complaire dans la puérilité, Parappa the Rapper va tirer profit de ce trop-plein d’enfance pour en tirer une sève infiniment plus acide et sarcastique qu’on ne le pense. Vous rappelez-vous de ces séries animées qui ne cessaient de vous répéter que si on y croit, on peut tout faire ? Parappa fait sienne cette formule (« I gotta believe ! ») en l’appliquant en dépit du bon sens et surtout en faisant appel au rap par ce biais.


Un résumé du gameplay autour du premier stage, forcément le plus emblématique

Si le principe en lui-même est simple (répéter en rythme une séquence de touches affichée à l’écran), la pratique l’est beaucoup moins et nécessite un timing qui se forge au fil des try again que vous allez voir/avez vu très souvent, en s’immergeant totalement dans le groove des compositions de Masaya Matsuura et Yoshihisa Suzuki, parfaits compléments de l’univers de Greenblat : simples d’apparence mais bien carrées et remplies de second degré dans leurs arrangements. Abstract hip-hop, raggamuffin, acid jazz, house… chaque morceau confère une identité forte à chaque chapitre de l’histoire et leur première découverte reste toujours une véritable surprise.

C’est ainsi que l’on suit le jeune Parappa tenter de conquérir le cœur de son amie Sunny Funny. Durant son périple, nous apprendrons à passer le permis, à devenir vendeur sur un marché aux puces aux côtés d’une grenouille baba-cool qui nous apprend que l’essentiel c’est l’amour avant de nous avouer qu’en réalité seul l’argent compte, qu’une tourte aux fruits de mer peut aisément remplacer un gâteau d’anniversaire – bien que pouvant nous refiler une chiasse carabinée – et que la file d’attente aux toilettes peut être dépassée avant d’aller déclarer notre flamme sur scène… tout ça, à travers le rap. Et c’est cette absurdité faussement naïve qui fait de Parappa the Rapper une œuvre unique dans le monde du jeu vidéo et qui a su conserver tout son charme, même 20 ans plus tard.


Trois ans plus tard, ses créateurs récidivent avec le spin-off Um Jammer Lammy où cette fois-ci le hip-hop laisse la place au rock pur et dur et aux riffs de guitare endiablés. Désormais, le joueur incarne Lammy, une jeune fille timide qui se transforme en bête de scène sitôt qu’elle se retrouve avec une guitare électrique entre les mains. Le scénario est simplifié à l’extrême : Lammy doit courir pour arriver à temps à son prochain concert et celle-ci croise sur son chemin des personnages siphonnés qui vont la retarder. Du coup, les auteurs vont en profiter pour mettre le paquet sur l’aspect visuel du titre et pousser dans ses derniers retranchements la dimension satirique présente dans le premier opus.

C’est ainsi que nous avons droit à des envolées psychédéliques ouvertement inspirées des délires de The Big Lebowski (1998) des frères Coen, mais aussi à de grands moments d’humour acerbe comme celui où Lammy, le ventre gonflé par une overdose de pizza, se retrouve prise dans un défilé de femmes enceintes chantant en chœur les joies et les merveilles de la maternité tandis qu’une sage-femme déglutissant du vomi rose pailleté l’entraîne aussitôt dans une clinique. Et histoire d’enfoncer le clou, s’il suffit pour Parappa d’avoir la foi pour faire face aux situations, Lammy qui ne retrouve confiance en elle que grâce à la guitare doit s’imaginer avec l’instrument en main car, comme le dit si bien le sensei Chop Chop Master Onion (toujours présent), « it’s all in the mind ». Le pouvoir de l’imagination atteint ici des sommets proprement gargantuesques.


Le moment en question… avec une idée de la difficulté rehaussée du jeu.

Et ce qui attend le joueur ne sera pas de tout repos, puisqu’il faudra faire face à une chorégraphie de pompiers au rythme soutenu, à un pilote d’avion aux humeurs changeantes ou encore à une diva alien interprétant une chanson pop arythmique. Plus dur, plus délirant, plus complet avec un mode 2 joueurs, Um Jammer Lammy fait partie des chefs-d’œuvre arty de la PS1. Et c’est en 2001 sur PS2 que Parappa connaît enfin une suite officielle.


Malgré le changement de console et l’amélioration du rendu, l’univers graphique en mode papier découpé est toujours là.

Pourtant, le succès sera loin d’être renouvelé avec cet opus ; l’arrivée de la PS2 était perçue – à juste titre – comme l’entrée dans une nouvelle dimension en matière de jeux vidéo avec des graphismes encore plus poussés que jamais et voir une création au design simpliste avec des personnages tout plats fut vécu par certains joueurs comme une régression. Ça et le fait que le jeu n’arriverait pas à retrouver le charme de l’original alors qu’il se défend très bien : l’histoire est toujours aussi absurde – une organisation malveillante veut transformer le monde entier en plat de nouilles – et le gameplay ne bouge pas d’un poil mais sur le plan musical et scénique, c’est un véritable bond en avant. Le funk, la soul, l’électro-disco ou la chip tune sont prétexte à des variations de tons et à des progressions over the top qui se traduisent évidemment à l’image.


Un exemple de l’exubérance du titre.

Ce n’est sûrement pas un hasard si ce dernier opus a été réédité sur PS4 à la fin de l’année 2015 : c’est tout simplement la marque des classiques sur lequel le temps n’a pas de prise, ou si peu. Alors arrêtez de me lire et replongez-vous dans l’univers de Parappa the Rapper ! Et rappelez-vous que, quoi qu’il puisse arriver, you gotta believe !


Petit bonus pour l’Amiral Animal qui n’attendait que ça.