samedi 31 décembre 2016

Depeche Mode : intime et intemporel



Cet article correspond à la version écrite de la chronique audio enregistrée pour notre podcast du mois "Le commercial c'est pas si mal".

 A l'occasion de ce mois placé sous le signe du commercial, du rentable, du papa Noël et de coca-cola j'avais, pour ma part, envie de creuser un peu le côté superficiel voire putassier que ce genre de thème - et donc de musique - peut suggérer. J'ai donc décidé de gratter un peu la surface pour me concentrer sur l’un des aspects que je trouve intéressent à creuser et qui découle directement de ce thème « commercial », à savoir la culture, et la musique populaire au sens très noble du terme.

Actuellement, il est vrai que ce terme est un peu dévoyé, ou du moins galvaudé. Une sorte de confusion se crée entre la culture de masse et la culture populaire, alors que ce sont deux choses complètement différentes et qui, surtout, n'ont pas le même but.

Là où la culture de masse vise avant tout à la rentabilité, créant ainsi une musique qui n’est alors qu’un pur produit de consommation vide et annihilant, la musique populaire c'est, certes la musique qui commercialement parlant a du succès auprès du plus grand nombre, mais on ne peut pas la réduire qu’à ça : la musique populaire c’est aussi et surtout un espèce de « marqueur temporel », parfois symbole d’une époque, d’une génération, d’une philosophie même. Ce n'est donc pas pour rien que la culture pop prend racine, entre autre, dans les mouvements contestataires des années 50 et 60. C’est un objet social et culturel constitutif de ce qu’on appelle la « mémoire collective », et en ce sens, la musique pop peut atteindre une dimension complètement iconique. Et ce n'est certainement pas en cette période particulièrement funeste où toutes les plus grandes pop stars de la planète nous quittent les unes après les autres que vous me contredirez.

La musique populaire c'est aussi bien souvent une porte d'entrée pour les jeunes mélomanes vers des contrées musicales peut-être plus alternatives et moins mise en avant par les médias dominants. Cette première rencontre peut être décisive quant à l’affirmation des goûts pendant l’adolescence et c’est aussi pour ça qu’on peut avoir un attachement et une tendresse particulière vis-à-vis de certains groupes. Pour moi, un bon groupe de musique populaire, c’est aussi un groupe qui est empreint de la charge personnelle et intime qu’on veut bien lui accorder.

En ce sens, un groupe comme Depeche Mode a pour moi cette valeur unique et sensible. Il a été, à l'aube de mes 12 piges, le premier groupe qui m'a donné cet avant-goût de new wave vaguement indus qui, par la suite, devait devenir l'une de mes plus grandes obsessions musicales. Aujourd'hui, je reste intimement convaincue que si mon brave papounet n'avait pas eu le bon goût de m'offrir un best-of de Depeche Mode pour mon anniversaire, eh bien peut-être que je n'aurai jamais été sensible à ce type de musique. Who knows... ?

 
 Shake The Disease - The Singles 01-85 (1985) 
 
 Never Let Me Down Again - Music For The Masses (1987)

Depeche Mode, groupe britannique formé en 1979, fut fondé par Dave Gahan, Martin L. Gore,  Andrew Fletcher, Alan Wilder et Vince Clarke. Bon... Clarke n’a pas fait long feu au sein du groupe puisqu’il n’est présent que sur le premier album, Speak & Spell, album qu’il a presque entièrement composé, avant de prendre le large et de partir fonder Yazoo, laissant de fait le p'tit blondinet Martin L. Gore principal compositeur du groupe. Sage décision, Vince !

Très rapidement, Depeche Mode va être repéré par Daniel Miller, grand monsieur de la musique, immense producteur et découvreur de talent et, accessoirement, fondateur du tout jeune label Mute Records. En tant qu'amatrice d'indus et de post-punk, je me voyais mal ne pas vous faire un bref topo sur Mute Records, qui, sous bien des aspects, est intimement lié à l'histoire et à la carrière de Depeche Mode. Cet excellent label, rapidement devenu culte, a beaucoup contribué à faire vivre une certaine musique des années 80, typée indus et post-punk donc et plutôt tourné vers l'underground et l'expérimentation. Si vous avez épuisé votre interminable liste des "groupes à écouter", foncez vous plonger dans le catalogue ultra riche de Mute Records : le dandy punk Nick Cave et ses mauvaises graines, l'énigmatique Frank Tovey de Fad Gadget, les très politiquement incorrects slovènes de Laibach, la déesse gothique Diamanda Galas, les très influents londoniens de Wire, les orbites barrés des Residents et même Throbbing Gristle, maîtres incontestés de l'indus, sont passés par Mute qui, décidément, s'impose comme l'un des labels les plus novateurs de sa génération

 
Warm Leatherette - T.V.O.D (1978)
 
On attribue souvent ce morceau à Grace Jones mais en réalité il fut composé par The Normal, le projet musical de Daniel Miller.
 
Étant fan de Depeche Mode depuis un bon moment, j'ai toujours été frappée par l'image que ce font certaines personnes du groupe. C'est ce que j'appelle le syndrome “Just Can't Get Enough”, c'est à dire que beaucoup vont réduire le groupe à ce morceau, à ce premier succès qui est sans doute le pire du groupe, en occultant de fait 99% de la carrière du groupe et en réduisant le groupe à une image new wave ultra kitchouille. Certains on tendance à associer Depeche Mode à certains groupes comme Duran Duran... Et encore, c'est loin d'être les pires ! Yazoo justement, Kajagoogoo (désolée du gros mot) sont des groupes qui, certes nous font bien marrer quand on ne sait pas quoi regarder sur Youtube, mais qui ne sont incontestablement pas de la même trempe que Depeche Mode.

Contrairement à tout ces groupes ultra calibrés, Depeche Mode est un groupe qui a une aura très particulière. Tout en restant résolument pop et dansante, la musique très épurée de Depeche Mode va rapidement brasser toute une flopée d'influences plus underground, notamment des sonorités plus indus, résultat des errances nocturnes de Martin L. Gore dans certains clubs berlinois plutôt underground.

 
Master And Servant - Some Great Reward (1984) 
 
Stripped - Black Celebration (1986)

Avec Violator, sorti en 1990, Depeche Mode signe son plus grand succès. Vendu à plus de 10 millions d'exemplaires, c'est aussi souvent l'album que les gens préfèrent, salué par la critique, il est, pour beaucoup, LE chef d’œuvre inégalable de Depeche Mode, l'album de tous les tubes et de toutes les reprises.

 
Personal Jesus - Violator (1990)
 
 Policy Of Truth - Violator (1990)

Mais si il y a un tube à retenir de Violator, c'est évidemment Enjoy The Silence, l'hymne incontournable, le carton absolu, que dis-je icônique de Depeche Mode. Et c'est en l'écoutant que l'on se rend compte que le temps est sans doute le meilleur test qui soit : un morceau comme "Enjoy The Silence" est increvable, indémodable, intemporel, et je pense sincèrement que dans dix, vingt, trente ans à venir ou plus, ça marchera encore tant le morceau est beau et touchant dans sa simplicité. Pour moi "Enjoy The Silence" symbolise parfaitement tout le talent de Depeche Mode : on ne peut pas dire que les musiciens qui composent le groupe soient des monstres de technicité, mais par contre, ils ont ce que certains très bons techniciens n'ont pas, c'est-à-dire un sens aigu de la mélodie. Et en ce sens, il faut rendre hommage à Martin L. Gore qui a toujours su faire tenir des mélodies ultra efficaces et fédératrices tout en étant très chiadées sur seulement quelques notes de guitare ou de synthé. 

Enjoy The Silence - Violator (1990)

Pour conclure cette chronique, je ne peux que vous encourager vivement à découvrir sans a priori ni idée préconçue la discographie de Depeche Mode et notamment les albums Songs Of Faith And Devotion et Ultra, tous deux sortis dans les années 90, une période où le groupe était beaucoup moins mis en avant médiatiquement parlant. De par l’élégance des compositions, la richesse du son et le brassage d'influences assez phénoménal, ces deux albums incroyablement aboutis m'évoquent complètement certains opus de Peter Gabriel et de David Bowie période 90's.

 
In Your Room - Songs of Faith and Devotion (1993)
 
Barrel Of A Gun - Ultra (1997)

Plongez-vous également dans les clips de Depeche Mode dont beaucoup ont été réalisés par l'éminent Anton Corbijn et dont certains sont de véritables bijoux esthétiques. C'est un groupe qui a toujours su développer une identité visuelle extrêmement forte et percutante, mais n'est ce pas là l'apanage des grands groupes de pop ? 

Depeche Mode, c'est aussi un groupe qui a la particularité non négligeable de compter dans ses rangs l'un des meilleurs, l'un des plus incroyables chanteurs qu'il m'a été donné d'entendre : Dave Gahan, chanteur exceptionnel au charisme ultra magnétique et au timbre immédiatement reconnaissable.

Actuellement, Depeche Mode sort encore d'excellents albums, c'est un groupe qui, malgré son impressionnante longévité a toujours des choses à dire, et qui en live est toujours d'une immense générosité et sincérité envers son public.

 
Should Be Higher - Delta Machine (2013)

 
Dave Gahan: Kingdom - Hourglass (2007)