lundi 19 décembre 2016

Shake, shake, shake : éloge de l'insouciance


Cet article correspond à la version écrite de la chronique enregistrée pour notre prochain podcast, disponible très bientôt, sur la thématique "Le commercial, c'est pas si mal".

Ceux qui connaissent l’Animal savent la musique qui le fait vibrer, mais ceux qui le connaissent vraiment savent quelle musique le fait bouger, danser, shaker son booty. Car l’album qui a le plus marqué ma molle jeunesse n’est nullement un classique de Deep Purple, l’éponyme de Black Sabbath ou quelque obscure vinyle d’un groupe de rock psyché allemand des années 70, mais l’un des albums les plus vendus de tous les temps, que dis-je : un double-album, quinze fois disque de platine aux Etats-Unis où il a été en tête des charts pendant 24 semaines d’affilée en 1978, plus de deux millions d’exemplaires vendus en France comme en Grande-Bretagne. Ca, c’est du succès commercial ! Surtout pour une bande originale de film. Je vous parle bien sûr de Saturday Night Fever, de John Travolta en slip imitant Bruce Lee devant la glace ou marchant au rythme des Bee Gees dans les rues de Brooklyn en pantalon pattes d’eph’ et chemise col pelle à tarte. 

Mais en fait, non, il ne sera pas question ici des Bee Gees. Les frères Gibb occupent déjà toute la face A de ce double et noyautent deux des autres faces, alors mettons un peu de côté ces trois là (dont nous ne nierons pas les incroyables talents d’auteurs-compositeurs vendus à la mode de cette époque) et souvenons-nous de ce qu’il y a derrière : des reprises complètement improbables sur un groove disco de la 5e de Beethoven ou d’Une Nuit sur le Mont Chauve de Moussorgsky, des Kool & The Gang, The Trammps et leur « Disco Inferno », sans oublier KC and The Sunshine Band.



Qui ça ? Mais si, vous les connaissez tous, même sans forcément connaître les géniteurs de « Boogie Shoes », « Shake, Shake, Shake » et le grand classique « That’s The Way (I Like It) ». Et pourquoi se concentrer sur eux ? Eh bien parce qu’à mon sens, ils cristallisent tout l’esprit et l’histoire du disco, et plus particulièrement celle du film Saturday Night Fever. L’histoire d’un petit blanc, employé d’un magasin de disques, qui va connaître la gloire grâce à la musique. Cet homme, c’est Harry Wayne Casey, avec sa mignonne petite bouille à la Michael Kelso de That 70’s Show, dans des pantalons brodés et des chemises à strass à faire pâlir d’envie un Elvis à Las Vegas. Son groupe est plus ou moins une création du label TK Records pour lequel il travaillait à mi-temps, avec, accroché autour de la personne de KC, des musiciens de studio de TK Records. Mais, du coup, il représente aussi un certain revival des années 60, des super-groupes de fusion composés de musiciens noirs et blancs (à l'instar de The Electric Flag, pour ne citer qu'eux), des grands talents alliés pour le fun et le groove.


Et il faut dire que l’esprit des Sixties, du Summer of Love flotte sur tout le monde du disco, sciemment ou pas. Certes, c’est une énorme manne commerciale capitalisant sur une recette 4/4 très basique, avec un beat permanent de grosse caisse présente sur chaque temps, pour faire bouger de manière frénétique, jusqu’à la transe, la fièvre. Mais le disco célèbre aussi la vie, l’amour, la joie. L’amour libre, sans barrière de sexe, de couleur ou de classe. La vie, tant qu’on en a, tant que le sida ne viendra pas mettre fin à tout ça. A la joie, pour chasser la dépression post-Trente Glorieuses et contrebalancer un monde de la musique où Elvis vient de mourir, les mastodontes du rock des années 70 dépérissent et se transforment en grosses machines vidées de leur âme et le punk crache sa rage de part et d’autre de l’Atlantique contre un système qui les méprise. 

Ainsi, le sourire béat d’un Harry Wayne Casey et les cuivres brillants de son groupe représentent un remède salvateur, un dernier élan d’insouciance à ce climat de crise. Mais ils représentent aussi, avec leur formation pré-fabriquée, leur musique usinée pour les discothèques, un marché saturé, qui tourne en rond en moins de trois ans et sera tué par la haine des fans de rock et des événements comme l’autodafé du Disco Demolition Night, le VIH, puis phagocyté par les années 80 dans des genres comme la new wave qui reprendra les synthés dont le disco avait popularisé les sonorités. Et c’est dans un virage new wave justement que KC and The Sunshine Band s’éteint, comme le reste du disco, dès le début des 80’s avec des airs fatigués comme « Give It Up ». Laisse tomber, en français. 

Mais finalement, c’était pas si mal ces années disco.