mardi 9 février 2016

Quand Bowie rime avec omni (suite)


Notre mois Bowie touche quasiment à sa fin. Nous avions initialement prévu de ne concentrer cet hommage que sur le mois de janvier - mois de son 69e anniversaire et de la sortie de son dernier album Blackstar -, puis de le pousser jusqu'au 10 février, soit un mois après sa disparition de la surface de notre Terre. Son absence laisse pourtant une sensation étrange : celle qu'il n'est pas complètement parti car, où que se porte notre curiosité artistique, nous savons que nous pourrions retrouver une trace de Bowie dans ce sillon ou dans des sentiers voisins. 

Pour preuve de cela, nous avons repris chacun des thèmes de nos vingt-trois émissions pour trouver en quoi l'artiste avait sa place dans chacun de ces domaines. En retirant deux émissions qui furent la suite d'un thème déjà abordé (soundtracks et reprises), plus trois autres dans lesquelles nous étions bien obligés de reconnaître qu'il y avait peu ou pas de rapport (Sound City Studios, Swamp Music et les labels), nous avons tout de même dix-huit domaines dans lesquels, dans notre explorations des multiples facettes du monde de la musique, l'on peut percevoir l'omniprésence de David Bowie et son héritage dans la culture pop et rock de ces cinquante dernières années.

Nous avons déjà étudié en dix points cet état de fait, voici les huit derniers thèmes à travers lesquels se ressent toujours le spectre de notre héros.

Emission n°14 : We Are Family

L'un des plus grands talents de Bowie dans les dix dernières années de sa vie a certainement été de savoir aussi bien protéger sa vie privée et donc sa vie de famille. Rarement super-star fut aussi brillante tout en étant aussi discrète. Sa vie avec sa femme Iman aura sans doute été bien moins rock'n'roll que celle du temps d'Angie ; et tant mieux, nul n'a besoin de savoir ! Et ses enfants non plus n'ont jamais engraissé les tabloïds. Et si on parle de son fils Duncan Jones c'est essentiellement parce qu'il est un réalisateur au début de carrière des plus prometteurs avec les déjà excellents films de science-fiction Moon et Source Code, et avec son premier "blockbuster" à venir : Warcraft, adaptation cinématographique de l'univers du célèbre jeu vidéo, qui - si c'est une réussite - pourrait lui donner les moyens de réaliser de plus grands projets à l'avenir. Et le clan Bowie pourrait alors continuer à faire rêver de nouvelles générations.

Il y a comme un air de famille, non ?

Et voici "Kooks", chanson écrite par Bowie suite à la naissance de son fils, "cause we believe in you..." :


Emission n°15 : Japon

"Like some cat from Japan..." Là encore, s'il faut expliquer le rapport privilégié qui existe entre Bowie et la culture japonaise, c'est vraiment que vous débarquez dans son monde. Il y a eu la scénographie de ses spectacles époque Ziggy inspirée du théâtre japonais entre postures, maquillage, l'androgynie elle-même étant une part importante de cet art et sans oublier les costumes Kansai Yamamoto qui ont tant fait pour développer l'imagerie Bowie (il n'y avait vraiment que les musiciens et la musique elle-même qui n'empruntait rien au Soleil Levant). Puis le film Merry Christmas Mr Lawrence (Furyo) de Nagisa Oshima ou encore l'influence majeure de son style sur le visual kei pour souligner le lien entre Bowie et la culture de l'archipel. En outre, il y a l'album Scary Monsters (and Super Creeps) et le morceau "It's No Game Part. 1" avec cette partie en japonais déclamée par la chanteuse Michi Hirota, mais aussi le méconnu instrumental "Crystal Japan". S'il est finalement apparu en bonus sur des rééditions de cet album de 1980, ce titre devait clôturer l’œuvre mais a été relégué en face B de "Up The Hill Backwards" et uniquement au Japon. Il faut dire qu'à l'époque, cette musique a aussi servi d'illustration musicale à une publicité pour du saké avec Bowie comme égérie, presque un exercice obligé pour tant de célébrités occidentales fascinantes pour le public nippon.


Emissions n°16 et 17 : suite des émissions Grands Détournements et Soundtracks.

Emission n°18 : Trois

Bowie et le nombre 3 ? Certes, comme de nombreux artistes ayant fait leurs débuts dans les années 60 marquées par la pensée hippie, le chanteur a un peu plus qu'effleuré des thématiques ésotériques mais s'y est rarement enfoncé. Il serait donc vain de se lancer dans une analyse numérologique de son œuvre à quelque endroit que ce soit. D'un autre côté, le nombre trois se retrouve dans ce qu'on a appelé la "Trilogie berlinoise" (les albums Low, Heroes et Lodger) mais cela n'a jamais été intentionnel qu'ils soient trois. Il y a aussi eu l'album Outside qui aurait pu être le premier volet d'une nouvelle trilogie (ce qui n'a jamais pu se faire et leur nombre théorique n'a jamais été définitivement fixé). Mais le nombre trois s'est tout de même retrouvé très tôt dans son œuvre avec la chanson "Threepenny Pierrot" qui accompagnait les spectacles de mime auxquels il participait avec Lindsey Kemp, son maître dans cet art. La chanson n'a jamais connu d'enregistrement officiel et a finalement été recyclée pour devenir "London Bye Ta Ta". Néanmoins, le chiffre trois est quand même là, accolé à l'art du mime qui est devenu fondateur dans le développement du style Bowie d'un bout à l'autre de sa carrière.


Emission n° 19 : Aliens

S'il y a bien une émission récente pour laquelle il a fallu très fortement se retenir de passer du Bowie tant ce choix semblait évident, c'est bien celle-là. Ziggy Stardust trépignait sans doute d'impatience qu'on parle de lui ce soir-là. Bowie était, bien souvent, un auteur de rock de science-fiction et quelle est la figure récurrente de la S-F ? L'extraterrestre, évidemment. Parfois égaré ou simple observateur, touriste, vagabond ou messie... Mais plus souvent vu comme un envahisseur, et c'est la crainte du "Starman" qui "aimerait venir nous rencontrer mais craint que nos esprits ne soient balayés". Et alors, ne le traiterait-on pas comme un danger, un ennemi ? D'ailleurs, Ziggy ne finit-il pas écraser par ses fans ? Quoi qu'il en soit, à travers lui, Bowie s'est enfin inventé pour devenir une curiosité, cet artiste venu d'ailleurs pour redessiner la carte du monde de la pop.


Emission n°20 : Poils

Tout simplement parce que question moumoute, David Bowie s'y connaissait quand même pas mal. A chaque nouveau personnage une nouvelle apparence, des pieds aux pointes des cheveux (avec parfois supplément bouc), presque chaque année, un nouveau look. Et même dans ses dernières apparitions il nous a offert une nouvelle coupe de cheveux à admirer, telle qu'on n'en aurait jamais vu sur la tête de n'importe quel homme de 69 ans qui n'a que quelques mois à vivre. Mais c'était Bowie et il était forcément plus spectaculaire qu'aucun autre.


Emission n°21 : Another World

Nous nous sommes retenus pour l'émission Aliens, pas pour Another World. Simple visiteur, le Starman n'avait pas l'intention de  nous conduire vers d'autres galaxies car le monde le plus étrange est déjà celui que nous avons sous les yeux. Ou au moins ce qu'il pourrait être. A l'époque de Diamond Dogs, Bowie avait eu l'ambition d'adapter sur disque la vision de 1984 de George Orwell. Faute de droit, l'album qui sortit en 1974 fut un album concept bâtard commençant dans un New-York post-apocalyptique pour finir dans la dystopie orwellienne. La catastrophe totalitaire prédite par l'auteur britannique n'a finalement pas eu lieu (en tout cas, pas à la date indiquée) mais les années 80 furent tout de même une période sombre pour Bowie d'un point de vue artistique. Mais les années 90 inversent la tendance et il renoue même pas avec la forme de l'album concept (en même temps qu'avec Brian Eno) sur Outside (1995). Nouvelle œuvre d'anticipation, ce disque emporte le public à la veille de l'An 2000 (date qui a tant s'enflammer les imaginations), en 1999 précisément, sur une Terre dystopique où meurtre et mutilation sont devenus une nouvelle forme d'art. Mais pour distinguer ce qui tient de la création et de la destruction, le culturel du criminel dans cette tendance, Bowie a donné naissance à un nouveau héros, Nathan Adler, pour enquêter dans ce monde effrayant.


Enfin, il ne faudrait pas oublier la participation de l'artiste dans un monde bien plus lointain et virtuel : celui du jeu vidéo Omikron se déroulant dans un environnement futuriste sur la planète Phaenon. Le chanteur y incarnait deux personnages et a participé à la bande originale.


Émission n°22 : les producteurs

En parfait touche-à-tout, David Bowie a aussi enfilé la casquette de producteur. Sur ses propres albums, bien sûr, mais aussi, dans les années 70 principalement, sur ceux d'artistes en lesquels ils croient. Le premier, All The Young Dudes de Mott The Hoople, en 1972, fut une véritable bénédiction pour le groupe qui, sur une pente raide, était sur le point de se séparer mais trouva en Bowie un protecteur et un sauveur. Ce dernier écrivit pour eux la chanson-titre de ce disque, leur plus grand succès. La même année, il coproduit aussi le plus célèbre album de Lou Reed, Transformer. Bowie était déjà un très grand admirateur du chanteur et de Velvet Underground et permit à son héros de trouver un nouveau souffle deux ans après avoir quitté le groupe. De la même façon, il sauva son ami Iggy Pop. Après avoir déjà produit l'album Raw Power des Stooges, il permet à l'Iguane, alors au fond du trou, de démarrer sa carrière solo avec deux chefs-d’œuvre en 1977 : The Idiot et Lust For Life. Probable que sans Bowie, Iggy n'aurait pas passé les années 70...


Emission n°23 : les enfants

S'il est un aspect par lequel Bowie peut parler aux enfants, c'est par son goût du costume. Quel enfant n'aime pas jouer à être un autre ? Bowie l'a fait tant de fois et de manière si pétillante et colorée, que lui manquait-il pour s'adresser directement au jeune public ? Probablement une œuvre plus adaptée, mieux ciblée. Il la trouva à travers celle de Prokofiev, son conte musical et didactique Pierre et le Loup, et son enregistrement sorti chez RCA en 1979 (maison de disques de Bowie à cette époque). Bowie y joue bien sûr le rôle du narrateur (rôle tenu en France entre les années 50 et 70 par Gérard Philippe, Claude Piéplu, Fernandel, Jacques Brel, etc.) mais peut-on croire que le chanteur, à la fin des années 70, après avoir été l'icône bisexuelle glam et le Mince Duc Blanc cocaïné, puis cet artiste expérimental qui revient de Berlin avec de supposés penchants nazis, ait été le premier choix de RCA pour figurer sur un disque pour enfants ? Certes non, mais les autres ayant refusé, Bowie a eu le job et il le fait particulièrement bien. Pierre et le Loup est une œuvre à mettre dans toutes les jeunes oreilles et cette version est des plus recommandables !


De quoi alimenter encore bien des générations. Et il reste encore tant de choses dans son œuvre pour alimenter d'autres thèmes pour que vibre et vive encore Bowie.