mardi 2 février 2016

Quand Bowie rime avec omni


C'est presque devenu un gimmick, un sempiternel refrain : à chacune de nos émissions, depuis trois ans que nous officions, nous aurions pu caser un peu de David Bowie à chacun de nos thèmes. Parce que, plus que tout autre artiste (vous pouvez essayer de chercher, vous ne trouverez très probablement pas) Bowie englobait et emmagasinait tout ce qui a fait la culture pop et rock'n'roll de ces cinquante dernières années. Souvent décrit comme un extraterrestre, un OVNI, il était surtout un omni : un artiste complet, touche-à-tout, étendant ses ramifications artistiques dans toutes les directions et plaçant son influence partout.

Nous nous sommes donc retenus, pas toujours mais la plupart du temps, de glorifier tous les mois cette icône mais puisque c'était censé être un mois Bowie sur ce blog avant même qu'il ne parte en poussière d'étoile deux jours après son anniversaire (et nous continuerons ainsi jusqu'au 10 février, soit un mois après son décès), nous nous offrons une petite séance de rattrapage en listant toutes les façons dont l'artiste aurait pu être un choix récurent de nos playlists.

Emission n°1 : Fusion

Comme tout artiste porté sur l'expérimentation, Bowie était porté sur les sauts d'un genre musical à l'autre, voire leur mélange. Après des transitions de la folk au rock (parfois hard) en teintant peu à peu le premier d'éléments du second, il a transité par la funk et l'électro dans la seconde moitié des années 70 créant des albums au carrefour de tout ce qu'il avait déjà fait par le passé et de tout ce qu'il allait faire dans l'avenir. particulièrement représentatif u saut artistique exécuté au milieu des années 70, citons l'album Young Americans où un rockeur anglais blond aux yeux bleus se lance dans la musique soul-funk noire américaine pour un résultat des plus classieux.


Émission n°2 : Grands Détournements (reprises, remixes, parodies, etc.)

L'exercice de la reprise est des plus communs et comme tout artiste majeur, Bowie a été grandement repris par toutes sortes d'artistes, de tout horizon, sans parler des nombreux remixes qui ont commencé à apparaître accompagnant ses albums à partir des années 90. Mais le chanteur a aussi rendu plus d'un hommage à travers sa discographie à ceux qu'il a admirés et qui l'ont influencé. Cela a notamment donné l'album Pin-Ups en 1973 avec ses reprises des Yardbirds, Pink Floyd, Who, Kinks ou même Jacques Brel.


Emission n°3 : Super-groupes et All-star bands

Certes, David Bowie ne s'est guère encombré de "projets parallèles" dans sa carrière puisqu'il n'avait qu'à changer de costume pour changer de style et même de partenaires musicaux. Il y a bien eu le groupe Tin Machine mais cela n'entre pas vraiment dans la définition de super-groupe. Par contre, des all-star bands, il a su en fonder plus d'un autour de lui pour les besoins de sa musique. Il a ainsi travaillé avec des musiciens d'exception tels que Mick Ronson, Trevor Bolder, Carlos Alomar, Earl Slick, Brian Eno, Robert Fripp, Adrian Belew, et ce rien que pour la période années 70. Et il attaqua aussi fort les années 80, puisque l'un de ses plus grands succès (commercial), "Let's Dance", s'est fait avec le concours des Chic Nile Rodgers (à la prod' et à la guitare rythmique) et Tony Thompson (à la batterie) mais aussi avec l'un des meilleurs lead guitaristes de sa génération : Stevie Ray Vaughan. On savait faire de la pop en ce temps-là, ma bonne dame...


Emissions n°4, 5, 6 : Swamp Music, Sound City, les labels

Bon, là, il faut bien admettre qu'un natif de Londres ne connait que peu de choses des marais et qu'en dehors de la lointaine influence du blues ou du jazz de la Louisiane sur sa musique, il faut bien passer au point suivant... Sound City Studios qui n'a jamais accueilli l'artiste... et pour les labels, si Bowie en a connu plus d'un (on notera tout de même sa fidélité à RCA de la fin des années 60 au début des années 80, y retournant même au milieu des années 90), il n'était pas un label à lui tout seul. Tant pis pour ces aspects là.

Publicité de RCA pour les disques de David Bowie dans les années 70

Emission n°7 : Soundtracks Of Our Lives

Évidemment, en tant qu'homme qui existe en particulier via son image, le monde du cinéma devait bien faire appel à lui un jour ou l'autre. Donc Bowie acteur, c'est aussi l'une des facettes que l'on aime chez lui : The Man Who Fell To Earth, Merry Christmas Mr Lawrence (Furyo), Les Prédateurs, même Labyrinthe... Et tant qu'à avoir un pied sur les plateaux, pourquoi ne pas en avoir un aussi sur la B.O. Par son importance dans la pop-music, il est toujours possible de tomber sur une de ses chansons pour illustrer un bout de film. Mais en tant que compositeur, on peut aussi lui faire confiance pour tenter l'expérience de signer une bande originale complète. Le meilleur exemple étant celle de la série de téléfilms britannique The Buddha Of Suburbia.


Emission n°8 : Eros

David Bowie, personnage érotique, sulfureux, voire sexuel, mais aussi - et plus simplement - amoureux (on pense à sa dernière épouse, Iman)... vous croyez ? On ne peut pas être une icône du glam rock sans causer quelques frémissements dans les petites culottes des spectatrices... et des spectateurs. Bowie était tellement sexuel qu'il était (excusez le néologisme) "pansexuel". Car, qu'importe qu'il fut vraiment homo ou bisexuel (au moins dans les années 70), son aura érotique fut brûlante, ne serait-ce qu'au temps des tournées Ziggy Stardust & The Spiders From Mars, au point de générer sa propre atmosphère chauffée à blanc où le public entrait en pâmoison face au nouveau dieu de l'amour et ses acolytes - dont un Mick Ronson jouissant sur son manche (de guitare) lors de ses solos. Des spectacles où, dans des sommets d'ambigüité sexuelle, l'on pouvait voir Bowie/Ziggy se mettre à genoux devant son guitariste, saisir ses hanches avec ses mains et son instrument avec sa bouche dans une imitation de rapport oral qui aura révolutionné l'imagerie rock.

Pas avec les dents David !
 
Emission n°9 : Thanatos

Cette émission était en partie consacrée aux artistes morts - et surtout ceux partis dans des circonstances tragiques ou pathétiques - et nous ne souhaitions certainement pas évoquer un jour Bowie parmi eux. Mais Mort et pulsion de mort (parfois autodestructrice) étaient tout de même omniprésentes sur ses disques : de la disparition du Major Tom dans "Space Oddity", personnage que l'on retrouvera dans "Ashes To Ashes" (expression extraite d'une prière funéraire) en 1980, à "Lazarus" (référence au seul personnage biblique, hors le Christ, à être revenu d'entre les morts) sur son ultime album, en passant par le "Rock'n'Roll Suicide" de Ziggy Stardust et la reprise en concert  de "La Mort" de Jacques Brel pour annoncer celle de ce personnage, ou le thème du meurtre comme art suprême au cœur de l'album Outside, l'idée de mourir, et surtout de mourir avec panache, ou au moins de la manière qu'on aura choisi, était dans ses pensées depuis le début. Et on ne peut donc que saluer la classe avec laquelle Bowie a quitté ce monde : dans le secret le plus absolu quant à son état, laissant imaginer jusqu'au bout qu'il n'était pas, comme nous, fait de cellules mortelles, nous léguant deux jours avant son décès un dernier chef-d’œuvre et se faisant immédiatement incinérer, sans témoins, ni famille ni amis et encore moins de médias voyeurs dans les parages, pour s'envoler à nouveau en poussière d'étoile, disparaissant presque aussi mystérieusement qu'il a débarqué dans nos vies.


Émission n°10 : les Cavaliers de l'Apocalypse

A l'instar de la Mort, l'Apocalypse, l'idée de catastrophe planétaire, est aussi bien présente dans l’œuvre de Bowie. Entre ces hommes qui vendent le monde, ces cinq années restant à vivre au début de l'aventure Ziggy Stardust, ces sociétés dystopiques dans Diamond Dogs ou Outside, on peut sentir le poids de maintes malédictions pesant sur le monde. Mais quoi de plus normal pour un membre d'une génération née au début de la Guerre Froide, vivant depuis toujours avec la menace d'un holocauste atomique au-dessus de leur tête. Une idée qui rejaillit parfois entre les lignes chez Bowie que ce soit dans un "Fantastic Voyage" ("It's a moving world, but that's no reason to shoot some of those missiles", Lodger, 1979) ou dans le tube "Under Pressure" écrit avec Queen mais dont les paroles sont bien de Bowie. A travers cette dernière, l'on peut lire la terreur de la menace d'une pluie de feu nucléaire alors qu'il existe une solution simple pour éviter ça : l'amour. 


Emission n°11 : Asylum

Et la maladie mentale ? Est-elle présente dans l’œuvre de Bowie ? Si vous posez la question, c'est vraiment que vous êtes vierge de culture bowiesque. La folie, les troubles de personnalité changeante sont un des thèmes majeurs de l'artiste. Plus encore, c'était sans doute l'une de ses hantises, ne serait-ce que depuis qu'il a vécu les crises de schizophrénie de son frère Terry Jones qui l'ont terrifié enfant. A tel point que l'hôpital Cane Hill où son frère était soigné fut représenté sur l'édition américaine de l'album The Man Who Sold The World en 1970 sur lequel figurait justement le titre "All The Madmen" avec lequel nous avions clôturé notre émission sur ce sujet.  


Emission n° 12 : Douce France

Bowie et la France, c'est une histoire qui remonte à loin. Que ce soit en reprenant Brel sur disque ("Amsterdam") ou sur scène ("My Death") ou son adaptation anglaise de "Comme D'habitude" rejetée face au célébrissime "My Way" recyclée sur "Life On Mars?", le chanteur aurait bien eu du mal à démentir l'influence de la chanson française sur son répertoire. Mais il est arrivé que ses chansons fassent le chemin inverse. Après l'album Low, premier volet de sa "Trilogie Berlinoise" qui fut pourtant composé en France, au Château d'Hérouville (où il travaillait aussi sur l'album The Idiot d'Iggy Pop), vint Heroes et son célèbre tube éponyme... qui eut droit à une conversion relativement maladroite dans la langue de Molière. Un exercice entre mauvais coup commercial et (soi-disant) hommage à l'un des peuples de cette Europe continentale (une version allemande fut aussi sortie à la même époque) coupée en deux par un Mur auquel la chanson fait justement référence. Enfin, une version vite oubliée, comme cette pochette du single bardée de bleu-blanc-rouge qui la ferait passer pour une face B de Bézu ou Licence IV.


Émission n°13 : les Salauds

Être un gros poisson dans une success-story comme celle de Bowie, c'est nécessairement attirer les requins voire être obligé d'en devenir un soi-même. Entre son manager qui se sert de son argent au début de sa période glam pour le faire tourner en grand apparat, roi sans le sou qui ne recevra au final que les miettes de son labeur, et lui-même qui débarqua brusquement et sans préavis les Spiders From Mars après la mort de Ziggy, difficile de dire que le triomphe de Bowie se soit fait sur un chemin parsemé de bons sentiments.

Comme tout homme, Bowie ne se montrait pas en permanence sous son meilleur jour mais certains ne l'aimaient carrément pas au point de vouloir le peindre en salaud, comme quand, au milieu des années 70, il laisse tomber les colorations rouges sur sa coupe mulet pour retrouver la blondeur naturelle de ses cheveux taillés courts au dessus de ses yeux bleus. Affichant l'image de l'aryen type, on le soupçonne d'adhérer à l'idéologie nazi, on isole au milieu d'un reportage photo une image de lui saluant la foule dans une posture pouvant rappeler le salut hitlérien (photo ci-dessous) et on prend au sérieux certains propos sur Hitler émis par un homme cocaïné alors jusqu'à l'os... Bref, on a voulu faire tomber une superstar et ça marche encore comme ça aujourd'hui...

Idem pour les ex rancunières : après des années de rapports déliquescents jusqu'au divorce en 1980 avec sa femme Angie (qui a tant fait pour le développement de son image à ses débuts), cette dernière, une fois libérée d'une clause l'empêchant de divulguer quoi que ce soit pendant dix ans sur ce qu'avait été leur vie ensemble, a eu la dent dure pour décrire un "froid manipulateur, un vampire psychique égocentrique doué d'une haine de soi et un toxicomane avec un besoin compulsif de coucher avec pratiquement tout ce qui bouge (tant que ses rougeurs génitales chroniques ne l'en empêchaient pas)" et qui plus est un "piètre amant". Enfin, là, on ne sait plus trop qui se comporte en salaud dans ce discours...

On peut toujours faire dire ce qu'on veut à une image sortie de son contexte...
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