mercredi 13 janvier 2016

Le Cabinet du Docteur Slapstick : Métro Réaumur-Sébastopol


Cet article est un complément de l’émission Another World.

La rétrospective d’un artiste constitue toujours l’occasion de dresser une structure globale sur une carrière avec ses évolutions, ses différentes périodes et ses égarements… bref, de visualiser le parcours avec ses aspérités. Une fois ce premier dégrossissement fait, chaque partie est alors disséquée et c’est ainsi que l’on peut dégager un autre registre : celui des sorties de route. Soit l’album ou le titre à part qui détone tellement par rapport au reste de l’œuvre qu’il ne peut que susciter la fascination… ou la consternation, c’est selon. Le rattachement se fait plus flou, plus incongru, et l’on a l’impression de basculer dans un autre monde.

Et pour peu que cette incongruité traite précisément d’un autre monde, quoi de mieux que de se pencher sur un OVNI musical… de Nino Ferrer.

Car s’il est un artiste dont la carrière fut placée sous le signe du malentendu constant, c’est bien ce cher Nino. Lui qui disait vouloir être Noir, devenir le représentant de la soul et du rock progressif sur le sol français, le public et les médias ne voyaient en lui qu’un amuseur groovy avant de l’enfermer dans ce tube qui fut sa plus grande malédiction : "Le Sud". Durant les années 70, il a donné naissance à une série de chefs-d’œuvre qui furent tous récompensés d’un échec commercial. Puis vinrent les années 80 et le début de cette phrase est déjà en lui-même lourd de sens ; pour un album réussi de cette période (Ex-Libris), il a fallu se coltiner un disque mineur (Rock’n’Roll Cowboy), un inutile (La Carmencita) et un complètement à jeter (13ème Album). En gros, ça commençait à sentir mauvais pour Ferrer créativement parlant. Et puis en 1993, c’est le retour inespéré avec l’excellent La Désabusion, publié sur le label éphémère Fnac Music, et dont l’édition limitée incluait un CD bonus qui constitue probablement le disque le plus étrange de son auteur : La Vie chez les Automobiles.

Signé "Nino Ferrer et Cie.", cet objet se veut avant tout une récréation pour l’artiste qui a décidé de faire un peu tout ce qu’il voulait sans se poser de questions, si ce n’est celle de se faire plaisir en faisant participer ses proches. On peut ainsi retrouver son jeune fils Arthur pousser la chansonnette sur "Caroline aux yeux bleus", sa compagne Kinou dans une reprise du standard "Besame Mucho" de Consuelo Velasques mais aussi son fameux guitariste Micky Finn sur "Amar’s Bar" ou encore son bassiste Joël Segura sur "Autre Temps". Ferrer ayant l’habitude de faire des reprises de son propre répertoire au fil de sa discographie, c’est sans aucune surprise que l’on retrouve dans cette auberge espagnole "Un an d’amour, c’est irréparable", "Il pleut bergère" ainsi que les maudits "Mirza" et "Le Sud" dont l’énergie et l’émotion respectives sont désormais portées par un chœur de fort bon aloi. Mais c’est sans compter sur le morceau d’ouverture de l’album… LE truc auquel personne ne pouvait s’attendre… Nino Ferrer faisant de l’électro !


Déluge de synthés, boîte à rythmes cheap et vocoder à l’appui, rien, absolument rien ne permet de rattacher le résultat à l’œuvre de Ferrer, si ce n’est la voix ; vocodée ou baragouinante comme à l’époque de "Mao et Moa", déclamant avec sur-jeu le mode d’emploi d’une machine à voyager dans le temps ou prenant une voix d’extra-terrestre avant d’essayer de nous taper du pognon tel le premier relou du coin. Et le What-the-Fuckomètre arrive dans le rouge au moment de découvrir parmi les crédits du morceau les noms de l’inventeur Franck Verpillat et celui du réalisateur Bernard Deyriès. Sérieusement, Bernard Deyriès, l’homme qui fonda la société DIC aux côtés de Jean Chalopin avec qui il réalisa des séries cultes comme Ulysse 31 ou Les Mystérieuses Cités d’Or. Ferrer a flirté avec un grand nom du dessin animé télévisuel et on se demande bien quel est le rapport. Et puis les morceaux se recollent… planète magique… extraterrestres… début des années 90… arrive alors un flash issu de l’enfance de votre serviteur : cette campagne de pub aussi confuse qu’angoissante pour le marmot de 6 ans que j’étais, avec ces martiens en latex dégueu et l’apparition de la mention Planète Magique et de cette sphère creuse s’ouvrant et révélant sa lumière intérieure. De quoi s’agissait-il ? D’une ligne de jouets ? D’un jeu vidéo ? Impossible de le savoir, mon esprit avait été trop marqué par l’image pour prêter attention à la voix-off.

Ce fameux logo, j’allais le retrouver quelques temps plus tard sur la couverture d’un livre-jeu de l’Inspecteur Gadget (encore une série de chez DIC) et puis plus rien. Le néant. Jusqu’à ce que ce morceau de Ferrer me rappelle à son souvenir.


Planète Magique… le plus gros échec d’implantation de parc d’attractions en France, loin devant Mirapolis, Big Bang Schtroumpf et Zygofolis. Le plus ambitieux centre de divertissement ayant vu le jour à la fin des années 80, où la haute technologie (écrans tactiles, réalité virtuelle…) devait être mise au service de la science-fiction et du merveilleux. Une succession de salles devait nous emmener dans différentes époques de l’Histoire, du temps des Incas au Moyen-Âge en passant par l’Orient fantasmé des 1001 Nuits… et autant de défis présents qui devait faire de ce monde à part « la planète dont vous êtes le héros ». Une immersion portée à son plus haut niveau qui s’avèrera beaucoup trop en avance sur son temps. Ouvert à la hâte en décembre 1989, fermé 10 jours plus tard, rouvert au bout d’un an pour une durée totale de 6 mois, le lieu a souffert de l’espace réduit de la Gaîté Lyrique où il avait été construit, les attractions tombaient régulièrement en panne faute d’une technologie encore peu maîtrisée et les critiques de la presse se déchaînaient. Des visites des vestiges du parc étaient organisées au début des années 2000 avant sa démolition en 2004 pour laisser place au centre d’art contemporain que l’on connaît aujourd’hui. Outre les archives présentes sur Internet, le morceau de Nino Ferrer constitue l’une des dernières traces de la Planète Magique, un autre monde qui, comme le dit Deyriès, pourrait bien être une réalité de nos jours. Reste à savoir qui serait partant pour reprendre un tel flambeau…