lundi 11 janvier 2016

Adieu David Bowie



Nous n'avions pas prévu de rendre hommage de cette façon à David Bowie. Il y a trois jours nous étions dans l'euphorie de la réception de son cadeau d'anniversaire, son dernier album Blackstar, une merveille encore à l'avant-garde de toute la scène rock et pop actuelle, et dans la célébration de ses 69 ans dont près d'un demi-siècle au service de l'Art.

Ce matin, ce fut la douche froide :"David Bowie est mort paisiblement aujourd'hui [10 janvier 2015] entouré par sa famille après une courageuse lutte de 18 mois contre le cancer."

Voici les quelques mots que notre équipe a su prononcer malgré l'abasourdissement provoqué par cet événement.

Amiral Animal : "Il n'est quasi pas une scène musicale qui ne doive payer son tribut à David Bowie. Folk, rock, pop, metal, électro, jazz, soul, funk, le tout dans un spectre allant du mainstream à l'avant-garde, son soleil éclairait de l'Orient à l'Occident. Son décès est d'autant plus difficile à encaisser qu'il survient au lendemain des funérailles de Lemmy Kilmister et on se demande combien de temps il faudra pour s'en relever. Verra-t-on à nouveau de notre vivant une telle personnalité, une telle créativité ? David, on n'a pas su lire entre les lignes sur ton (fantastique) dernier album : 'Look up here, I’m in heaven, I’ve got scars that can’t be seen, I’ve got drama, can’t be stolen, Everybody knows me now, Look up here, man, I’m in danger, I’ve got nothing left to lose [...] This way or no way, You know, I’ll be free, Just like that bluebird, Now ain’t that just like me, Oh I’ll be free, Just like that bluebird, Oh I’ll be free, Ain’t that just like me.' Maintenant, nous voilà pris au dépourvu, serais-tu Lazare, nous attendrions un miracle, mais peut-être le miracle était-ce Bowie."

Captain Nightfly : "J'ai 13 ans et je suis à la Fnac (oui je sais c'est pas bien). 15 euros en poche ; de quoi me payer deux disques (oui, je sais, c'est la fête). Mon premier choix, honnêtement, je l'ai oublié, mais pourquoi je me rappelle encore aujourd'hui d'avoir pris cette compil' de Bowie ? (en plus la pochette était vraiment dégueulasse). Qu'est-ce qui a pu m'attirer chez cet artiste dont j'avais vaguement entendu parler, soit par ses looks tous plus excentriques les uns que les autres, soit par ses films dont l’esthétique (merci Roeg et Nagisa Oshima) m'avaient marqués ?

Je rentre chez moi, impatient d'écouter un artiste que j'ai découvert tout seul comme un grand, personne autour de moi n'aimant trop la musique de ce caméléon qui serait passé par tous les prismes de l'arc-en-ciel. Je me sens fier et en même temps je me rends compte que tout le monde connait cette intro de piano, cette intro de clavier, cette intro de guitare... En fait, la musique de Bowie est tout sauf inaccessible et alambiquée comme je l'attendais. Merde... je l'aime encore plus et elle reste ma musique de chevet pendant toute mon adolescence.

A 15 ans je me fais traiter de tante parce que j'ai les cheveux longs, je suis ravagé par l'acné et j'ai un appareil. Je me dis que je pourrais peut-être me faire plus de potes en écoutant Green Day ou Booba, en coupant mes cheveux et en regardant le foot... mais je préfère rester avec mon copain le Thin White Duke qui m'a accompagné pendant toutes ces périodes où je me dis que finalement on passe des meilleurs moments à disséquer les influences de "Diamond Dogs" que celles des joueurs de l'OL.

En fait, Bowie m'apprend surtout que les différences, l'ouverture d'esprit et la spontanéité, font d'un musicien un véritable artiste. Il me fait découvrir la pop, la musique électronique, l'indus, la new-wave, me fait aimer Roxy Music, Iggy Pop et NIN, me donne envie de jouer funky comme Carlos Alomar, heavy comme Mick Ronson ou en dehors de genres établis comme Robert Fripp.
J'aime Can, Bauhaus, ou The Cure grâce à lui. Putain, je me suis même frappé le film Twin Peaks juste pour le voir 10 secondes à l'écran. Comme il le dit lui même de son acolyte Brian Eno : "Il emprunte des choses à l'art populaire et les élève jusqu'à la haute culture. Je fais l'inverse : j'emprunte des choses à la culture savante et je les abaisse au niveau de la rue."

Un monde sans Bowie, c'est un monde où une partie de mon adolescence s'est envolée, en plus de celles de milliers de personnes, je pense. Mais un monde sans Bowie, ce sera surtout un monde avec un sacré vide à combler.

Peut-être que dans quelques centaines d'années les gens se diront qu'on a quand même vécu l'avènement de plusieurs guerres, de la corruption, de la haine et des films d'Abdelatif Kechiche et Xavier Dolan, mais que nous, on aura vécu à la même époque que David Bowie.

Et ça c'est plutôt cool."

CereBra : "Même s'il s'est éclipsé brutalement sur sa planète, il nous laisse le plus beau des testaments : un album neuf, à peine sorti. Comme s'il n'avait pas voulu nous laisser démunis. L'homme est parti comme il est venu : avec élégance et des étoiles au fond des yeux.

Entre image et images, c'est un éclat d'intellectualisme et de culture populaire que Bowie nous laisse en héritage. Une certaine métaphysique du rock n'roll qui n'aurait pas été possible sans lui, sans ses costards cocaïnés, sans la silhouette de Lady Stardust.

Au-delà du rock n'roll en lui même, Bowie incarnait l'essence même de la création à mi-chemin entre culture populaire et création contemporaine, au-delà du genre féminin-masculin, au-delà de toute étiquette musicale. Bowie pouvait s'en passer des étiquettes, il était lui-même devenu une étiquette, un label qui a certainement permis à plusieurs générations d'appréhender la création d'une manière personnelle et universelle à la fois.

Goodbye, Mr Lawrence.

I always had a repulsive need to be something more than human."


Docteur Slapstick : "Avant d’être un artiste musical, David Bowie était d’abord pour moi un corps et une gueule. Une silhouette élancée, un visage sculpté au rasoir avec une pupille dilatée achevant de lui donner les allures d’une œuvre semi-abstraite, presque Art Déco. Le tout dégageant une présence magnétique qui se prête parfaitement à toutes les interprétations ambiguës possibles. Ambiguïté autour du genre sexuel bien sûr, mais aussi du genre humain en général. Pas étonnant que le cinéma se soit jeté sur lui pour en faire L’Homme qui venait d’ailleurs chez Nicolas Roeg, l’un des Prédateurs de Tony Scott ou le roi des Gobelins, gardien du Labyrinthe de Jim Henson. Même l’ignoble Arthur et les Minimoys de Luc Besson a su lui faire honneur en lui confiant la voix de Maltazard, personnage dont la prestance fait bel et bien écho à celle de l’interprète de Ziggy Stardust. Bowie, c’était aussi la figure spectrale de Boz dans le jeu vidéo Omikron : The Nomad Soul sur lequel les fans ne manqueront pas de se pencher de nouveau dessus.

Un spectre, une entité flottante et malléable… pour moi, Bowie, c’était ça. L’image avant le son… son univers musical ne m’a jamais attiré, à l’exception de son travail de production pour Iggy Pop sur l’album The Idiot.

Et pourtant, l‘annonce brutale de sa mort ne m’empêche pas de penser que nous venons de perdre l’une des plus importantes incarnations de la rockstar."

HackerGroove : "Monde de merde."

Terminatar : "Que dire qui n'ait pas déjà été dit ? L'influence de Bowie est incommensurable. Il m'a ouvert au rock, à la pop, à la musique électronique, à l'avant-gardisme et à l'expérimentation. Bowie est la source de tout ce que je peux écouter en musique, le dénominateur commun et le fil conducteur. J'ai passé la matinée à me demander sur quel album j'allais bien pouvoir me recueillir. Au final, j'ai choisi de réécouter Blackstar, son ultime chef-d'oeuvre. Premièrement subjuguée par l'insondable étrangeté de cet album, aujourd'hui Blackstar se révèle être incroyablement bouleversant. Prenant la forme des dernières confessions d'un homme en fin de vie, le clip de "Lazarus" cristallise l'image d'un Bowie certes malade, affaibli mais toujours autant charismatique, magnétique, fascinant et infiniment touchant dans son étrangeté."


Image d'illustration : Bill Sinkiewicz